Dana Endundo est la fondatrice et directrice de Pavillon 54 et une cheffe d’entreprise avec plus de 15 ans d’expérience en stratégie numérique et marketing pour des entreprises du Fortune 100 ainsi que des startups à travers le monde. Avant de fonder Pavillon 54, Dana Endundo a occupé des postes de direction dans divers secteurs, notamment les services financiers, la Fintech et la Technologies Marketing. Elle a travaillé pour des sociétés prestigieuses telles que Citibank et la Bank of NY Mellon.
Dana Endundo est titulaire d’une maîtrise en économie de l’Université libre de Bruxelles et d’un MBA de la Columbia Business School. Elle a été la première Congolaise à être diplômée de la Columbia Business School. Elle a également suivi plusieurs cours au Sotheby’s Institute of Art et au MoMA. Dana Endundo a vécu dans 8 pays sur quatre continents et parle cinq langues.
Africanshapers : quel est votre parcours académique et professionnel ?
Dana Endundo : après une licence en sciences économiques à l’Université Libre de Bruxelles en Belgique, j’ai commencé ma carrière dans les services financiers. D’abord à la Citibank, à Kinshasa et, ensuite, à la Bank of New York Mellon à Bruxelles. Cependant, ayant toujours voulu mener une carrière internationale, j’ai vécu en Espagne pendant mes études, en 2003. Je me suis expatriée en Amérique Latine en 2007, lorsque j’ai décroché un poste en Colombie et au Panama, pour le groupe de services médicaux Groupo Emi (aujourd’hui Falck), détenu à l’époque par l’homme d’affaires belgo-congolais Luc Gerard.
Forte de ces expériences, je suis retournée aux études et j’ai obtenu un Master in Business Administration (MBA) à l’université de Columbia,aux Etats-Unis, en 2012. Je me suis ensuite spécialisée dans les stratégies numériques et le marketing digital dans des postes de Vice-présidente et directrice, successivement chez Citibank New York et Startapp, une start-up israélo-américaine spécialisée dans les données mobiles et l’Adtech (Advertising technologie). Enfin, je me suis installée au Royaume-Uni en 2018, où j’ai travaillé en tant que consultante pour une fintech américaine ayant des aspirations commerciales en Afrique.
Qu’est-ce qui vous a motivée à lancer « Pavillon54 » et quels sont ses objectifs ?
lorsque j’ai déménagé à Londres, j’avais plus de 13 ans de carrière dans le monde de l’entreprise, y compris dans l’industrie bancaire et des technologies. J’ai appris comment fonctionne le monde des affaires à l’ère du numérique. Mais, à ce stade, je souhaitais faire quelque chose qui me passionnait et où je pouvais utiliser au mieux mes compétences et expériences.
D’un autre côté, j’ai développé une passion pour l’art dès mon plus jeune âge. Née à Kinshasa, en République démocratique du Congo et élevée entre la RDC et la Belgique, j’ai eu la chance d’avoir des parents qui m’ont appris l’amour de l’art et l’importance de soutenir les artistes et la culture. En grandissant, je m’y suis intéressée de plus en plus à titre personnel et me suis toujours demandé comment mettre en avant le talent et la créativité dont j’avais souvent été témoin, comment rendre visible la beauté de mon patrimoine culturel au monde.
Je me suis rendue compte que malgré la popularité croissante de l’art africain contemporain sur la scène artistique mondiale ces dernières années, la majorité des gens ne s’imagine pas que l’art africain haut de gamme est prisé sur certains marchés internationaux.
J’y ai vu une opportunité. J’ai donc décidé de construire une plateforme qui bénéficierait à la fois aux artistes, aux collectionneurs, aux enthousiastes et à l’industrie ; une solution centralisée et un écosystème fort qui relie les différents acteurs et facilite la découverte, l’apprentissage, l’acquisition et l’investissement de l’art d’Afrique et de la diaspora tout en facilitent le développement à long terme du marché.
En quoi consistent les activités de Pavillon54 et quelle est sa particularité et son modèle économique?
Pavillon 54 est une plateforme numérique unique et une communauté autour de l’art moderne et contemporain d’Afrique et de sa diaspora. Nous faisons de l’Afrique une pierre angulaire du marché mondial de l’art en augmentant l’exposition des artistes, en investissant dans l’éducation et en élargissant la base de collectionneurs, en nous concentrant sur nos 3 C : Commercial, Contenu & Communauté.
Premièrement, le commercial : avec notre plateforme en ligne, qui met en avant le meilleur de l’art d’Afrique et de la diaspora et permet aux collectionneurs, artistes et galeries du monde entier de découvrir, acheter ou vendre des œuvres d’art originales.
Deuxièmement, il y a un énorme besoin de combler le vide d’information sur l’art africain et de donner aux gens suffisamment d’outils et de connaissances pour se sentir à l’aise lors de l’acquisition d’œuvres. C’est pourquoi, notre plateforme éducative comprend un blog bien documenté et d’autres ressources pour aider les utilisateurs à devenir des acheteurs ou des collectionneurs plus aguerris.
Enfin, troisièmement, nous organisons des événements qui contribuent à créer une communauté forte où les cultures africaines sont partagées et célébrées.
Combien d’œuvres de combien d’artistes sont actuellement en vente sur Pavillon54 ?
La plateforme de Pavillon 54 compte actuellement plus de 40 artistes venant de plusieurs pays du continent et de la diaspora, ce qui représente près de 400 œuvres originales – peintures, photographies ou sculptures. Ces chiffres évoluent chaque jour car nous ajoutons régulièrement de nouveau artistes ou de nouvelles œuvres.
Quelle est la fourchette des prix et qui fixe ces prix ?
Les prix sont fixés en fonction de plusieurs paramètres et de la demande générale. Ces paramètres incluent le medium, la taille de l’œuvre, la célébrité de l’artiste, ses prix à l’étranger, son parcours artistique (expositions, prix obtenus…) et ainsi de suite. Chez Pavillon54, nous faisons une recherche détaillée et discutons avec les artistes, galeries ou revendeurs avant d’établir un prix en accord le plus possible avec le marché.
Mais, la majorité des œuvres se situent dans une fourchette de prix allant de 1.000 à 10.000 dollars.
Quels sont les critères de sélection des œuvres vendues sur Pavillon54 ?
Principalement des œuvres d’artistes émergents et établis. Des artistes qui ont déjà fait leur preuve dans un certaine mesure sur le marché local ou à l’international. Ils ont déjà de certains acquis en termes de carrière, par exemple une représentation formelle dans une ou plusieurs galeries, des expositions ou récompenses à leur actif et leur la carrière est en pleine croissance. Tous les artistes présentes sont présélectionnés sur base de ces critères et d’autres par notre équipe ou celle des galeries avec qui nous travaillons.
Mais nous consacrerons bientôt également un espace sur notre plateforme pour présenter et offrir plus de la visibilité aux jeunes artistes qui n’ont pas de représentation formelle en galerie ou d’autres opportunités d’exposition, mais démontrent un grand talent et beaucoup de potentiel.
Quels sont aujourd’hui les enjeux et les défis liés à la vente de l’art des pays d’Afrique ?
Les défis principaux auxquels est confronté la vente d’art dans les pays d’Afrique, et notamment en RDC, sont souvent le manque de patronage et d’infrastructures. A part dans quelques pays comme l’Afrique du Sud, il y a très peu de galeries d’art, de musées et institutions, ou de soutien de la part du gouvernement pour promouvoir ou expérimenter l’art. Le manque d’infrastructures rend difficile l’accès à des œuvres d’art de qualité ou la découverte d’artistes, ce qui contribue à une faible croissance de la base de collectionneurs locaux nécessaires au développement du marché.
A cela, on peut ajouter le manque d’information et d’éducation : il existe peu ou pas d’informations sur nos arts, leur histoire ou contexte. Mais les choses évoluent peu à peu grâce à plusieurs initiatives locales. De nouvelles galeries voient le jours dans les capitales comme Lagos, Accra, Abidjan, et même Kinshasa. Des initiatives d’artistes ou de collectionneurs se développent également un peu partout sur le continent et dans les pays ou la diaspora est forte.
Ces initiatives sont encore trop souvent financées par des fonds privés, venant souvent de collectionneurs passionnés. Mais elles (les initiatives) ne sont pas encore assez nombreuses. Il en faudrait davantage, ainsi que plus de soutien de la part des gouvernements africains.
Quelle évolution avez-vous constaté ces dernières années dans la vente de l’art africain en général et congolais, en particulier ?
le marché de l’art mondial est estimé à 50 milliards de dollars et l’art africain est le domaine le plus en vogue dans le monde de l’art aujourd’hui. L’opportunité du marché est énorme et se développe rapidement.
Les réalités sociales et politiques du continent ont déclenché une évolution créative des artistes africains contemporains, donnant confiance à certains de travailler et rester en Afrique. Parmi eux, l’artiste Saint-Etienne Yeanzi, originaire d’Abidjan en Côte d’Ivoire (disponible en vente sur Pavillon54), dont la valeur moyenne de ses œuvres individuelles est passée d’environ 8 000 $ à 60 000 $ sur le marché secondaire au cours des sept dernières années.
Plus proche de chez nous, la cote des artistes congolais contemporains n’a cessé d’augmenter depuis que les principales maisons de vente aux enchères ont commencé à les proposer. C’est le cas notamment pour Chéri Samba, qui reste le plus connu des artistes congolais à l’international, et dont les œuvres individuelles ont rapporté jusqu’à 140 000 $ aux enchères – et pour Eddy Ilunga Kamuanga, dont le prix des peintures aux enchères est passé d’environ 11 000 £ en 2017 à plus de 100 000 £ (135 000 $) aujourd’hui.
Comme vous pouvez le constater, le marché se développe rapidement et suscite beaucoup d’intérêt de la part des experts et des collectionneurs. Il est temps que les Africains capitalisent sur cet engouement afin de changer l’image du continent et de tirer parti de nos industries créatives pour développer le potentiel économique de nos nations.
Vous estimez sur votre plateforme qu’il il est important de développer une clientèle locale pour que le marché de l’art africain soit durable à long terme. Comment développer cette clientèle locale en Afrique, en général, et en RDC, en particulier ?
En effet, j’estime que pour changer efficacement le discours sur l’art « africain » et sur l’Afrique et la diaspora en général, nous devons les rallier à notre cause, à notre mission. Je voudrais que les Africains et Afro-descendants du monde entier participent à ce développement, soient fiers de leur héritage et commencent à collectionner. J’espère que ce qui est arrivé à l’art traditionnel africain (ou 95% du patrimoine culturel africain est détenu en dehors du continent) ne se reproduise pas avec l’art contemporain.
Mais c’est aussi logique d’un point de vue financier. Juste quelques chiffres : 5 des 10 économies à la croissance la plus rapide se trouvent en Afrique (FMI). Un consommateur sur cinq dans le monde vivra en Afrique d’ici la fin de la prochaine décennie, et de plus en plus de ces personnes appartiendront à la catégorie des riches ou de la classe moyenne. Il y a un nombre croissant de personnes fortunées et une urbanisation rapide. Les chercheurs prévoient que le continent abritera au moins neuf villes de plus de 10 millions d’habitants d’ici 2050. Kinshasa fait déjà partie de ces mégapoles qui pourraient représenter des pôles financiers et culturels importants.
L’augmentation des revenus discrétionnaires entraînera une demande accrue de biens de haute qualité et de niche. Cela se produit déjà dans certaines villes à forte croissance économiques comme Lagos au Nigeria qui compte déjà de nombreux collectionneurs. C’est pourquoi je crois que ce marché a un énorme potentiel. Pourtant, il a été à peu près inexploité jusqu’à présent.
Et là je ne parle que de ceux sur le continent. Il y a des millions de personnes de la diaspora dans le monde ; éduquées, disposant de bons revenus, fières de leur patrimoine et désireuses de participer au développement culturel du continent et lui donner une meilleure image. Ils ne sont peut-être pas familiers avec le monde de l’art, mais avec les bons conseils, l’information et le bon prix, ils commencent à collectionner ou acheter des œuvres occasionnellement.
Vous êtes originaire de la République démocratique du Congo, quel lien gardez-vous aujourd’hui avec ce pays ?
Je suis très attachée à mon pays. Une grande partie de ma famille y vit et j’essaie d’y passer autant de temps que possible, en général plusieurs fois par an. A chacune de mes visites, j’en profite également pour rencontrer de nouveaux artistes, collectionneurs, passionnées d’art, etc.
Quelle place la RDC tient-elle ou peut-elle tenir dans le marché de l’art africain ?
La RDC est encore sous-représentée sur la scène artistique africaine et internationale. Mais, en même temps que l’appétit pour l’art d’Afrique et de la diaspora grandit dans le monde, de nouveaux pôles créatifs se développent sur le continent. Et même si on parle généralement de l’Afrique du Sud, du Ghana, du Maroc, du Nigeria ou encore du Sénégal, la scène artistique Congolaise gagne peu à peu en popularité et la RDC est considérée par certains – dont moi – comme le candidat favori pour être la prochaine grande plaque tournante pour l’art sur le continent.
Les Congolais sont extrêmement créatifs. Nous l’avons toujours été. Si nous pouvions reproduire dans l’art contemporain le succès et la reconnaissance que nous avons développés dans la musique, rien ne nous arrêterait.
Malgré la mauvaise réputation dont souffre parfois le Congo à l’étranger, beaucoup d’artistes, de mécènes et de collectionneurs ou encore de citoyens, d’hommes d’affaires et même certains dirigeants s’efforcent de donner au pays une nouvelle identité et la scène artistique internationale observe et reconnaît son potentiel.
Vous avez vécu dans plusieurs pays du monde. Comment avez-vous capitalisé cette expérience internationale dans la création de Pavillon54 ?
En créant Pavillon54, je réponds à un besoin que j’ai moi-même rencontré. Je fais partie de cette diaspora qui aimerait voir son pays et son continent se développer économiquement et culturellement. J’en comprends les défis et les opportunités. Et, en même temps, j’ai aussi toujours gardé suffisamment d’attaches avec mon pays que pour comprendre les réalités et les besoins locaux. J’essaie d’apporter des solutions que j’ai vu fonctionner dans d’autres endroits du monde, mais en les adaptant au terrain. Je capitalise sur le réseau que j’ai créé au cours de ces années pour faire évoluer la plateforme au mieux.
Quelle est la journée type de Dana Endundo ?
Mes journées sont rarement les mêmes ! Être entrepreneur, c’est devoir porter plusieurs casquettes et faire face à d’innombrables décisions au quotidien. Chaque jour peut être un mélange de gestion des affaires courantes de l’entreprise, de rencontre avec des partenaires potentiels, de visite de musées et galeries, de voyage pour découvrir de nouveaux artistes, d’événements mondains, etc. Et tout cela est passionnant pour moi. Je m’ennuie rapidement et j’ai besoin de changement constant, de variété et d’apprentissage, donc ce style de vie me convient.
Quels sont vos projets pour Pavillon54 ?
En faire la référence mondiale lorsqu’il s’agit de l’art contemporain et moderne d’Afrique et de la diaspora.
Informations additionnelles
Livre de chevet ?
L’Alchimiste, de Paulo Coelho
Si vous aviez exercé un autre métier ?
Actrice
Si vous étiez un personnage dans l’histoire ?
Bessie Coleman (première femme noire au monde à pouvoir piloter et la première personne d’origine afro-américaine et amérindienne à détenir une licence de pilote qu’elle obtient en 1921. NDLR)
Hobbies ?
Voyager et découvrir de nouveaux paysages et de nouvelles cultures – mode et art de vivre – Art moderne et contemporain – photographie amateur – la gastronomie et émissions de télévision culinaires.