La fédération royale marocaine de football a annoncé, le jeudi 6 août, la signature d’une convention pour le développement du football féminin sur tout le territoire national. Objectif: mettre en place les moyens techniques et financiers pour augmenter la pratique du football, le sport le plus plébiscité par les femmes au Maroc, à l’horizon 2024. Dans cette optique, Africanshapers s’est entretenu avec l’une des figures majeures du football féminin au Maroc, Lamia Boumedhi, sélectionneuse de l’équipe nationale féminine U17 du Royaume.
Africanshapers : quel est votre parcours dans le monde du football et d’où vous vient cette passion pour le ballon rond ?
Lamia Boumedhi : j’ai commencé le football dans mon quartier. Je jouais avec les garçons qui se retrouvaient quotidiennement pour des matchs. Et ma mère est la première personne à avoir remarqué mes qualités de jeu. J’ai eu beaucoup de chance car ma mère était professeur, elle avait étudié et était donc ouverte d’esprit. Elle ne m’a pas empêché de jouer au football, bien au contraire. Mes parents m’ont beaucoup soutenu et m’achetaient tout le matériel nécessaire. J’avais d’ailleurs une jolie collection de ballons (rire). Et je me souviens que pour mes sept ans, ma mère m’a fait le plus beau cadeau d’anniversaire que je pouvais espérer : elle m’a offert le ballon « Mi Casa ». C’était un ballon très en vogue et qui coûtait cher, environs 350 dirhams à l’époque. Les grands garçons de mon quartier venaient toujours me l’emprunter pour jouer, j’acceptais à condition d’assister au match pour éviter qu’ils l’abîment. En résumé, j’ai appris à jouer au football dans ce qu’on pourrait appeler « l’école de la rue ». Je pense que tout le monde a commencé là.
À l’âge de 13-14 ans, en plein adolescence, j’étais gênée de jouer avec les garçons. J’avais donc besoin de rejoindre une équipe féminine. Mais, Berrechid, la ville d’où je suis originaire, était une petite ville, il n’y en avait pas. Et ma mère a émis l’idée d’en créer une dans notre ville pour que je puisse jouer, mais aussi pour que je reste près d’elle. Le club qui a été créé est le « Nadi Berrechid ». Le NB a évolué très rapidement. Nous avons gagné le championnat du Maroc quatre fois d’affilée de 1994 à 1998 ainsi que la première édition de la Coupe du Trône féminine. C’était un honneur pour moi de recevoir la Coupe des mains du Prince Moulay Rachid. En 97-98, nous avons remporté le tournoi de l’Union nord-africaine de football (UNAF). Et j’étais chaque saison meilleure buteuse du championnat et de loin.
Pour mes 16 ans, j’ai reçu ma première convocation avec l’équipe nationale A pour disputer la Coupe d’Afrique des Nations en 2000 en Afrique du Sud. J’étais la plus jeune joueuse de cette CAN. Par la suite, j’ai gagné ma place de titulaire jusqu’à devenir capitaine de la sélection.
En 2003, j’ai quitté le Maroc pour l’Italie. J’ai signé pour le club professionnel de Perugia AC. J’ai ensuite rejoint la Norvège pour quelques mois avant d’être convoquée avec la première équipe nationale des nations arabes en 2004. Nous avons joué un tournoi aux Emirats Arabes Unis et j’ai marqué contre le club anglais de Chelsea le premier but de l’histoire de cette équipe nationale.
À l’âge de 26 ans, j’ai été victime d’une rupture des ligaments croisés antérieurs, c’est une blessure très grave. J’ai subi deux opérations, sans succès. Le médecin m’a annoncé que je ne pourrais plus jouer au football… C’était un moment très difficile pour moi. Mais j’ai décidé de ne pas baisser les bras. Je suis revenue sur les terrains, mais en tant qu’entraîneuse cette fois-ci. En 2012, j’ai passé ma licence C de la CAF au Maroc. En 2015, je suis allée étudier à la Faculté de la science du sport de l’Université de Leipzig en Allemagne. En rentrant, j’ai tout de suite été contactée par le Wydad de Casablanca pour diriger l’équipe féminine. Nous avons réussi à nous classer 3è du championnat pour ma première expérience à la tête d’une équipe. Après cette saison, j’ai été repérée par la Direction Technique Nationale de la Fédération Royale Marocaine de Football pour m’occuper de l’équipe nationale féminine U17.
Comment avez-vous réussi à vous épanouir entre votre vie familiale / personnelle et votre passion, d’exercer un métier dans le domaine du foot ?
J’ai eu la chance de pouvoir concilier vie de famille et vie professionnelle. Je parle de chance car mon époux est également entraîneur. Il comprend parfaitement mon quotidien et surtout mes absences. Je suis régulièrement en concentration avec l’équipe nationale, nous voyageons beaucoup, mais il m’encourage. Il m’aide dans les analyses de matchs, il partage avec moi son expérience car il a entraîné vingt ans au Portugal. C’est un soutien important pour moi.
En quoi consiste votre travail de sélectionneuse nationale U17 de l’équipe nationale féminine de football du Maroc ? Quelles sont vos activités au quotidien ?
C’est une mission de tous les jours et sur le long terme. Nous avons régulièrement des réunions à la direction technique nationale avec mes collègues pour mettre en commun nos données et discuter des points à améliorer. Avec le département football féminin, dirigé par Kelly Lindsey, nous faisons également des points réguliers et nous préparons les stages de concentration. Il s’agit d’adapter ces stages aux objectifs et aux enjeux, mais aussi à l’effectif que l’on a au moment du stage. Ce n’est pas facile d’intégrer de nouveaux éléments, mais nous avons de la chance, les joueuses sont très accueillantes et chaleureuses et on a une bonne cohésion dans les groupes. Nous avons établi un calendrier des échéances sur plusieurs années pour se préparer au mieux. Les stages de concentration sont très intenses et c’est pour cela qu’il faut qu’ils soient bien préparés.
Quel est votre palmarès en tant qu’entraineuse et quels sont vos objectifs à court, moyen et long terme ?
En tant qu’entraîneuse, j’ai remporté la médaille de bronze aux Jeux Africains de Rabat en 2019 avec la sélection U20. Nous avons également remporté la première édition du tournoi de l’UNAF pour les U20, en 2019 toujours. Et bien sûr, je rêve de me qualifier avec les U17, que j’ai pris en charge, pour la prochaine Coupe du Monde.
Comment analysez-vous l’état du football féminin au Maroc actuellement ? Quels sont les enjeux et les défis ?
Le football féminin, avec le Président de la fédération M. Faouzi Lekjaa, est en plein développement et restructuration. Et tout ce travail a commencé avec le lancement il y a 3 ans de l’académie FRMF qui propose un cursus sport-étude aux jeunes filles. Une ligue nationale de football féminin a ensuite été créée avec Khadija Illa comme présidente. Un championnat professionnel va être lancé dès la prochaine saison sportive avec une 1è et une 2è division, sans compter les championnats U17 et U15 qui vont être lancés au niveau des ligues régionales. Les joueuses auront des contrats professionnels et plus de 1000 nouveaux cadres vont être formés. Tout le mérite de ce travail revient au Président de la fédération M. Faouzi Lekjaa, car il a fait du football féminin une priorité. La FRMF a lancé un vrai plan d’action qui a pour but de professionnaliser le football féminin au Maroc et d’avoir des équipes nationales compétitives. C’est un grand chantier auquel nous devrons toutes et tous prendre part. Je suis confiante car le projet est bien ficelé, rien n’a été laissé au hasard et un contrat-programme a été signé par tous les intervenants. Il y aura à chaque fois une étape à valider pour passer à la suivante et je suis vraiment honorée et fière de faire partie de ce Plan Marshall.
Le football est considéré comme un bastion du machisme. En avez-vous été victime ? Et comment réagissez-vous face aux difficultés rencontrées ?
C’est vrai que les femmes ont du mal à se faire accepter dans ce milieu… Mais il faut s’accrocher. J’ai eu la chance de passer directement du Wydad de Casablanca à la DTN, je n’ai donc pas exercé longtemps en championnat. En tant que femme, nous subissons forcément le machisme, même s’il n’est pas direct et frontal. Nous devons toujours en faire plus que les hommes pour prouver notre légitimité et c’est d’ailleurs très important de maîtriser son sujet pour être crédible. Une femme instruite et correctement formée est indéboulonnable et elle ne perdra jamais la face. Il faut avoir la force et les armes pour gérer ces situations. Avec l’expansion et le développement du football féminin, nous occuperons plus de terrain et nous nous imposerons.
Quelles sont les qualités et les compétences requises pour être un bon entraîneur ?
Pour être un bon entraîneur, il faut être passionnée avant tout et pédagogue. Le lien que l’on crée avec les joueuses est très important. Il conditionnera les résultats de l’équipe. Il faut aussi être continuellement dans une démarche d’apprentissage, car on apprend tous les jours. Les méthodes de travail se perfectionnent avec le temps, tout comme la culture tactique et technique. Il ne faut pas camper sur ses positions et au contraire, essayer de toujours améliorer son jeu pour obtenir les meilleurs résultats. Il faut aussi avoir les nerfs solides ! Une saison sportive est très longue, surtout quand les compétitions sont cumulées. Il faut pouvoir aller au bout et savoir gérer sa saison et ses joueuses.
Qu’est-ce qui vous motive le plus dans l’exercice de votre travail ?
Je prends mon métier d’entraîneuse comme une mission. Je veux aider les jeunes filles à s’épanouir et à pratiquer le football sans embûche. J’ai un lien particulier avec les joueuses et c’est très important pour moi. Elles savent qu’elles peuvent compter sur moi pour le sportif mais aussi pour l’extra-sportif. Je ne veux pas être l’exception qui confirme la règle en réussissant à m’imposer. Je veux que l’on fasse sauter cette règle et au Maroc, nous avons déjà bien avancé sur ce point-là. Il y a un parallèle à faire entre le sport et l’émancipation des femmes, c’est pour cela que l’insertion et le développement par le sport sont importants. Contrairement aux joueurs, les joueuses ont besoin de plus d’encadrement et de soutien. J’essaye de leur apporter ces choses avec le département football féminin de la fédération. C’est une véritable mission sportive et humaine, pas seulement un métier.
Quels conseils et messages pouvez-vous donner aux jeunes filles qui aiment le football et hésitent à le pratiquer ?
Je voudrais dire à toutes les joueuses qui hésitent à se lancer : lancez-vous ! Vivez votre passion mais sans mettre les études de côté. C’est très important et les études feront de vous des jeunes femmes cultivées, ouvertes d’esprit et surtout indépendantes. Le football est le plus beau des sports et nous avons le droit de le pratiquer. J’espère vraiment que vous aurez la force de vous lancer et que vous serez encadrées pour réussir.
Et pour les parents qui me lisent, j’aimerais vraiment que vous soyez un soutien pour vos filles. Encouragez-les, encadrez-les et aidez-les à atteindre leurs objectifs. Vous êtes un pilier pour elles et ensemble, nous réussirons à faire bouger les mentalités et à nous imposer.