Tisya Mukuna: « La Kinoise se veut être le café de tout le monde, accessible et de qualité ».

Entretien Jeunes entreprises

Tisya Mukuna est à la tête de la société « La Boite », basée à Kinshasa, en République Démocratique du Congo. Elle a grandi en France mais a toujours eu à coeur de revenir dans son pays natal. C’est ainsi qu’après avoir obtenu son Master en Marketing à l’Institut d’économie scientifique et de gestion (IESEG), à Paris et un MBA à la Shanghai International Studies University en Chine, elle s’est lancée dans l’entrepreneuriat au Congo, notamment dans la production de café, avec le premier café produit à Kinshasa.

 En quoi consistent les activités de votre entreprise « La Boite »?

La Boite est une boite à idées qui lance et met en application différents projets. Via ma société, je gère le centre d’évènement « Son & Lumière », composé de deux salles polyvalentes, d’une capacité de 350 et 500 personnes respectivement; une chaîne d’épiceries « Montana »; et finance la production et la commercialisation d’un café 100% congolais nommé « La Kinoise », en référence à notre plantation qui se trouve à Kinshasa.

Pourquoi avoir choisi de vous lancer dans la production de café, spécialement à Kinshasa?

C’est le secteur du café qui m’a choisi. Mon père,  Georges Luabing Mukuna, est un féru d’agriculture et il m’a transmis sa passion. Je suis également convaincue que nous pouvons relever notre économie par l’agriculture et son industrialisation. Nous avons des tomates mais nous importons notre ketchup… L’industrialisation et la transformation de nos matières premières sont nécessaires pour le développement des pays africains dont fait partie le Congo. Un chemin obligé pour booster notre croissance et le marché du café est porteur ! Il y a une réelle demande mondiale.  Après tout, le café est la deuxième marchandise la plus échangée au monde, après le pétrole. La deuxième boisson la plus consommée dans le monde, après l’eau. Il s’en boit 2,3 millions de tasses chaque minute. C’est un marché porteur qui pourrait même relancer notre économie agricole. Regardez les pays comme l’Ouganda, l’Ethiopie ou même la Cote d’Ivoire, premiers exportateurs de café et économiquement portés par leur agriculture, par ailleurs. Ce sont tous ces aspects qui me motivent. Le pari de faire pousser du café sur les terres kinoises était risqué, mon père à l’époque en avait fait l’expérience et avait réussi. Alors j’ai retenté le challenge et ça pousse toujours ! De plus, le fait que la plantation soit à Kinshasa est aussi un signe distinctif. C’est plutôt rare d’avoir du café dans cette région et nous voulions souligner notre particularité. C’est un travail que nous avons commencé il y a longtemps. Aujourd’hui j’ai assez de stock pour commercialiser et c’est avec fierté et un long travail que je suis capable de vous présenter mon produit 100% congolais, 100% bio.

Quelle est l’envergure de La Kinoise aujourd’hui, volume de production, nombre d’employés, etc. ? Où est-ce que le café est-il torréfié et emballé ?

Sur la plantation nous employons quatre ouvriers agricoles et deux saisonniers au moment de la récolte. Nous nous aidons également d’un agronome certifié tout au long de l’année. Une fois la récolte effectuée. Nous décortiquons et séchons le café sur une table de séchage que nous avons construit nous-même ; puis envoyons notre café vert à l’ONAPAC, L’Office National des Produits Agricoles du Congo (anciennement ONC, Office National du Café), qui le torréfie et le moud.

Enfin nous l’emballons dans notre atelier pour l’envoyer à notre partenaire distributeur, une société congolaise : Vendis World. Tout ce travail est encadré par moi et deux chefs de projet La Kinoise (un spécialisé dans la logistique, l’autre dans le graphisme).

Où sont vendus vos produits ?

 Nous avons débuté la commercialisation cette année et les produits sont disponibles chez S&K, City Market, Monishop, Surprise Tropicale, Noosy Coffee et Manitech. Mais nous continuons à travailler avec Vendis World pour étendre nos points de vente. Nous voulons être accessible partout à Kinshasa puis dans le reste du Congo, avant de viser l’international. Nous voyons grand et croyons en notre marque.

Quels sont les différents types de café que vous commercialisez et à quels prix sont-ils vendus ?

Nous avons de l’Arabica à 2$. Un café doux qui accompagnera bien la fin d’un repas. Le Robusta, à 2$, un café intense, plus corsé avec plus de teneur en caféine.  L’Arabusta, à 2$,  une alliance entre l’arabica et le robusta. Le Mochaccino à 4$. Un mélange de cacao et café. Savoureux et doux, le Mocha convient à tout le monde et surtout ceux qui sont sensibles à la caféine.

Mais bientôt nous étendrons notre gamme de produit en introduisant du café en unidose pour satisfaire tous les profils et portefeuilles.

Comment se présente le secteur du café en RDC, chiffres, principaux acteurs, volumes de production, vente ? Comment la marque La Kinoise se positionne-t-elle par rapport à la concurrence ?

 Il y a quelques décennies, le Congo était un grand exportateur de café. Mais, aujourd’hui, nous avons perdu nos lettres de noblesse et même l’habitude d’en consommer. C’est un beau défi de le réintroduire dans nos mœurs et il est important que nous soyons les premiers consommateurs de ce qu’offre notre terroir congolais.

Imaginez-vous que des pays comme le Brésil exportent 900 000 tonnes de café par an et le Vietnam plus de 750 000. De l’autre côté de la balance, l’Allemagne importe 1 million de tonnes de café par an, et l’Italie 500 000… C’est colossal ! Si le Congo entrait dans l’échiquier et de façon plus large, arrivait à industrialiser sa production agricole générale, nous pourrons relancer notre économie.

La plupart des caféiculteurs vendent leur café aux grands groupes qui le transforment ailleurs pour finalement nous revenir en supermarché à des prix élevés. La réalité du marché du café congolais est que nous sommes trop peu nombreux à transformer notre café, car cela nécessite un équipement couteux et une certaine technicité. Nous faisons concurrence à de grands groupes et l’aide donné par le gouvernement semble flou. On nous parle de subventions, mais il est difficile de cueillir les informations justes et donc de postuler. La Kinoise se veut être le café de tout le monde, accessible et de qualité.

Comment avez-vous financé le lancement de votre groupe « La Boite » ainsi que celui de « La Kinoise » et quel est votre modèle économique ?

Le lancement de ma société La Boite s’est fait sur fonds propres, avec mes économies, tout en comptant également sur une aide parentale. Aujourd’hui, le besoin d’agrandir ma capacité de production et d’acquérir des machines de transformation m’amène à demander des subventions et crédits à des organismes extérieurs comme le FPI.

Pour La Kinoise, nous visons toutes les couches de la population. Le Mochaccino, dont la recette est plus complexe, est plus onéreux alors que les unidoses de Robusta sont plus accessibles. On se veut être le café de tous les congolais et amoureux du Congo sans distinction de portefeuille.

Quant à La Boite, il est difficile de dresser un modèle d’économie unique car l’entreprise embrasse différents types de projets. Un leitmotiv peut cependant être mis en exergue, c’est la philosophie de mettre en avant le savoir-faire congolais.

Les deux entités sont-elles déjà rentables ? Sinon, dans combien de temps espérez-vous un retour sur investissement et pourquoi ?

 Avec La Kinoise, nous sommes en phase de lancement, notre investissement n’est pas fini. Nous cherchons encore à grandir à l’international mais aussi dans les gammes que l’on propose ; c’est pourquoi nous attendons un retour sur investissement dans un an au moins.

La Boite est aussi une jeune entreprise. Avec nos ambitions, on lance de nouveaux concepts pour notre centre d’événement comme des festivals du rire, des comédies musicales. Nous ne cessons d’investir sur des projets, et nous sommes patients, c’est le principe même de l’entrepreneuriat.

 Comment comptez-vous pérenniser les activités de votre groupe, en général, et de la marque la Kinoise, en particulier ?

Concernant La Kinoise, il est tout d’abord important de réintroduire le café comme boisson à part entière  mais aussi de pousser à la consommation locale, notamment avec une campagne de promotion du made in Congo. A cet effet, j’ai réuni autour d’une vidéo, d’autres entrepreneurs qui font des produits locaux : confiture, pain, thé, jus, yaourt. L’idée était de faire une vidéo où l’on montre un petit déjeuner avec des produits 100% congolais. On espère que cette vidéo fera échos auprès des ministères de l’économie ou même de l’agriculture.

Pour pérenniser les activités de La Kinoise et au delà des entrepreneurs agroalimentaires, il faut soutenir le marché local en mettant en avant le savoir-faire congolais ; éveiller les conscience en quelque sorte. En outre, je ne le dirai jamais assez, industrialiser nos productions pour pouvoir transformer nos matières premières. Nous avons assez de terres fertiles pour nourrir le pays entier si ce n’est le continent. Mais, nos routes délabrées, les nombreux péages entre chaque ville, le manque de machineries nous font passer à côté d’une révolution agricole et industrielle nécessaire au développement du pays et à la sérénité du marché local.

 

 

Patrick Ndungidi
Journaliste et Storyteller
https://africanshapers.com

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