Prof. Filomain Nguemo:«Je m’efforce d’offrir à des jeunes chercheurs la possibilité d’améliorer leurs compétences et leurs qualifications»

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Originaire du Cameroun, Filomain Nguemo est actuellement professeur associé de physiologie à l’université de Cologne, en Allemagne. Il est également chef de groupe en électrophysiologie au Centre de physiologie et physiopathologie de la faculté de médecine de l’université de Cologne. Ses recherches portent sur les cellules souches dans le but d’améliorer la fonction cardiaque. Dans cette interview accordée à Africanshapers, il revient sur son parcours, depuis l’université de Dshang, ses allers et retours entre Dschang et Douala pendant les jours fériés, les congés et les grandes vacances, pour faire du commerce en vendant des livres, du pain ou des fruits, l’obtention de sa thèse à Cologne ou encore les partenariats qu’il a initiés entre l’université de Cologne et l’université de Dshang ainsi qu’avec l’université Cheikh Anta Diop (UCAD) à Dakar. « Ma philosophie dans la vie a toujours été de supprimer, autant que possible, les obstacles que j´ai rencontrés durant mon parcours pour ouvrir le chemin aux autres», explique-t-il.

 

Africanshapers : qui est Filomain Nguemo et quel est son parcours académique et professionnel ?

Filomain Nguemo : je sui né d´une famille polygame à Bamendou au Cameroun. Après mes débuts á l´école du village, jusqu’à l’âge de 7 ans, j´ai rejoint mon grand frère à Bafoussam, où j´ai poursuivi mes études primaires et secondaires.

Après mon Bacc D, obtenu en 1992 á Bafoussam, je suis allé à Yaoundé pour mes études universitaires, puisque Yaoundé avait la seule université du Cameroun. Les conditions de vie et de cours à Yaoundé m´avaient traumatisé, avec pour résultat ZERO matière validée en fin d´année académique. J´étais sur le point  d´abandonner mes études cette année-là. Heureusement, le 19 janvier 1993 a eu lieu la réforme universitaire au Cameroun, avec la création de 5 nouvelles universités, parmi lesquelles l´université de Dschang. C’est ainsi que je fuyais le cauchemar vécu à Yaoundé afin de m´inscrire à la faculté de sciences de l´université de Dschang pour la rentrée académique 1993/1994, où j´ai obtenu successivement ma licence en zoologie et mon Master en biologie et physiologie animale. Durant mes études, je faisais des allers et retours entre Dschang et Douala pendant les jours fériés, les congés et les grandes vacances, soit pour faire du commerce (livres, pains, fruits,…) soit pour faire la moto-taxi. Ceci associé aux répétitions que je faisais au courant de l´année pour me faire un peu d´argent.

En 1998, j´ai été obligé de retourner à l´université de Yaoundé pour mon doctorat, car c´était la seule université qui offrait le cycle de Doctorat au Cameroun. J’y ai obtenu mon diplôme de « First year of Doctorat Degré» en 2000.

Connaissant les difficultés à mener á terme les travaux de thèse de doctorat, je m’étais lancé, dès mon inscription en Doctorat, á la recherche d’une bourse et d’un labo dans une université étrangère qui pouvait m´accueillir. Heureusement pour moi, en 2001, j´ai finalement obtenu une bourse du gouvernement Allemand pour continuer mes études doctorales.

Après mon doctorat en physiologie, soutenu en 2008 á la faculté de médecine de l´université de Cologne, j’ai décidé d´y rester pour continuer de travailler sur les cellules souches, un domaine qui me fascinait beaucoup. Je suis resté à Cologne malgré les possibilités qui m´étaient offerte ailleurs, notamment un post-doctorat aux Etats-Unis.

Avant ma soutenance en 2008, j´avais déjà une grande responsabilité dans  l’équipe de recherche auquel j´appartenais. Après ma thèse, lorsque mon chef m´a proposé de continuer, je n´ai pas hésité. C´est ainsi que la même année, j’ai été promu chef d´équipe de recherche et enseignant assistant au département de physiologie et pathophysiologie, de la faculté de médecine où, en continuant mes recherches, j´ai obtenu mon habilitation en 2018, ce qui m´a ouvert la voie à une chaire universitaire. Depuis lors, je suis Professeur associé de physiologie.

Qu’est-ce qui vous a motivé à effectuer des études de biologie?

Dès mon plus jeune âge, je rêvais d´être médecin, car mon père disait toujours qu´avec autant d´enfants qu´il avait, aucun ne voulait vraiment aller loin dans les études et devenir le médecin moderne ou être le fonctionnaire de la famille. Voilà ce qui me motivait d´aller á l´école et de travailler dur afin de payer le nécessaire pour mes études. Malheureusement, mon père est décédé une semaine avant mon examen de Bac, ce qui ne m’a pas découragé pour autant. Ses paroles étaient restées gravées dans ma mémoire et me donnaient le courage d´étudier avec l´intention de devenir médecin de la famille. Malheureusement, je n’ai pas réussi au concours d´entrée à la faculté de médecine, malgré deux essais. Pour ne pas m´éloigner de la médecine, j’ai continué mes études en biologie et, comme un signe du destin, je me suis retrouvé á la faculté de médecine d´une des plus grandes universités d´Allemagne, où je contribue á la formation de médecins et de scientifiques non médecins, parallèlement à mes travaux de recherches.

Justement, vous êtes actuellement chef de groupe en électrophysiologie au Centre de physiologie et physiopathologie de la faculté de médecine de l’université de Cologne et professeur assistant. En quoi consiste votre travail et quels sont les cours que vous enseignez ?

Je participe à l’éducation et à la formation de jeunes professionnels de la santé de demain ainsi qu’ au fonctionnement de l´université de Cologne, à travers mes activités qui consistent à: dispenser les cours; assurer l’encadrement des travaux pratiques et dirigés; s uivre les travaux des étudiants doctorants ; conseiller les étudiants et animer mon groupe de laboratoire de recherche; participer au développement de ma spécialité au travers de mes activités de recherches; publier nos recherches dans les journaux scientifiques ; participer à des jurys d’examen; contribuer á l´élaboration des programmes d’enseignement; rédiger des rapports d’activités sur nos projets et missions ; assurer le suivi des mémoires des étudiants; déterminer les orientations des activités de recherche de mon groupe de recherche ; o rganiser et participer à des colloques, séminaires, conférence,…. ;  initier des coopérations et des projets de collaborations pour plus de visibilité de l´université de Cologne à l´international. Concernant mes activités d´enseignement, je suis habilité à enseigner tout ce qui concerne la biologie et la physiologie animale ainsi les sciences de la santé humaine.

Vous faites également des recherches sur les cellules souches dans le but d’étudier l’amélioration de la fonction cardiaque, en particulier les effets des médicaments et des substances végétales naturelles sur le cœur ou les cellules myocardiques. Pourriez-vous nous expliquer en quoi consistent ces recherches et quelle est leur importance pour la science ?

Mes travaux de recherches portent sur les cellules souches, qui sont des cellules «mères», à partir desquelles toutes les autres cellules de notre organisme se développent. Nous prenons les cellules souches que nous conditionnons afin de produire les cellules qui constituent le cœur. Ceci dans le but de les utiliser pour réparer les cœurs malades ou endommagés. Les cellules souches offrent de véritables perspectives thérapeutiques et donnent aussi la possibilité de tester directement les médicaments ou composés naturels sur les cellules humaines au laboratoire. Ce qui est primordial, par exemple, pour définir la dose idéale et pour détecter tôt leurs effets néfastes, avant de les mettre sur le marché. Elles peuvent aussi être utilisées pour tester l´efficacité de nos plantes médicinales. D´ailleurs, plusieurs de nos publications scientifiques portent sur les plantes médicinales utilisées contre certaines maladies en Afrique. Une partie de nos activités de recherche consiste aussi à évaluer la possibilité de greffage de ces cellules dans le cœur des souris après un infarctus. Ceci dans le but, par exemple, de faire revivre le cœur. Imaginez-vous un cœur qui ne fonctionne plus parce que les cellules sont toutes mortes. On le prend et on remplace les cellules mortes par de nouvelles cellules Après un temps, le cœur recommence à fonctionner à nouveau, donnant ainsi la possibilité de re-transplanter chez la même personne. C´est le but de cette technologie et je crois fermement qu´on y parviendra un jour.

Un autre aspect est l´utilisation des cellules souches comme des médicaments C’est le cas, par exemple, du traitement de la leucémie et de lymphomes, où on prélève certaines cellules du malade, que l´on active en modifiant leur patrimoine génétique. On les multiple et on les réinjecte chez le patient, pour détruire les cellules infectées. Cette technique est aussi en cours d´étude pour les autres maladies, surtout pour des maladies jusque-là incurables.

Bref, les cellules souches renferment un immense potentiel en médecine et pour l’industrie pharmaceutique.

Quels sont les enjeux et les défis en matière de cellules souches en Afrique ? Quels sont les problèmes récurrents et les solutions à apporter ?

Les enjeux sont tellement énormes. Ils peuvent être économiques, sociaux, médicaux et pharmaceutiques. De plus en plus, les cellules souches deviennent un outil important dans le domaine de la santé et dans l´agriculture. Aujourd’hui, des traitements à base de cellules souches sont utilisés contre certains types de diabète et de cancer. Et ceci ne s´arrêtera pas là, puisqu´il y a plusieurs essais cliniques qui se déroulent sur de nouvelles thérapies à base de cellules souches. Environ 80% de la population d’Afrique ont recours à la médecine traditionnelle pour répondre à leurs besoins fondamentaux en matière de santé, et nous reconnaissons l’utilité de cette médecine traditionnelle en Afrique. Dans certains coins, les médicaments à base de plantes constituent la principale et, parfois, la seule source de soins de santé. Cependant, les connaissances scientifiques sur l’efficacité et l’innocuité de plusieurs de ces plantes médicinales sont très limitées Il y a un besoin urgent d´implanter les ressources et capacités pouvant permettre de répondre aux exigences internationales en matière de sécurité, d’efficacité et de l´effectivité de ces médicaments traditionnels. Et les cellules souches constituent un outil idéal pour y arriver et peuvent servir à contrôler les produits et médicaments reçus d´ailleurs. En plus, cette technique peut permettre de faire pousser certains fruits, légumes ou arbres, juste à partir de cellules souches. C’est ce qu´on appelle « Agriculture cellulaire ». Donc, l´Afrique pourra l’appliquer pour multiplier certaines espèces rares et celles en voie de disparition. Ceci passe par une prise de conscience sur l´importance d´une telle technologie, et l´implication de tous ceux qui pourront y apporter leur savoir.

Vous êtes l’initiateur de la coopération entre la faculté de médecine de l’université de Cologne et celle l’université Cheikh Anta Diop (UCAD) à Dakar. Pourquoi avoir initié cette coopération et comment se traduit-elle concrètement dans les faits ?

En effet, après avoir initié la coopération entre mon université ici en Allemagne et l´université de Dschang, j´avais constaté que certains aspects n´étaient pas faciles à manager, à cause principalement du gap qu´il y a entre les deux pays sur le plan de la formation et de la recherche en médecine et aussi de la différence socio-culturelles linguistique. Pour cela, il fallait inclure un partenaire du Sud pour diversifier la coopération avec l´axe Sud-sud. C´est ainsi que, connaissant les capacités de la faculté de médecine de l´université Check-Anta Diop de Dakar, avec ses structures de formations médicales plus développées en Afrique subsaharienne, je m´étais dit que Dakar pouvait être un bon acteur dans cette coopération. En plus, mon initiative n´est pas faite pour se limiter au Cameroun, j´exploite toutes les possibilités qui me tombent sur la main, surtout qui peuvent aider quelque part en Afrique.

Pour le moment, nous avons un financement sur le développement de programme d’études médicales à Dakar et à Dschang. Et, dans ce projet, ces deux universités ont bénéficié, entre autres, d’un équipement pour une salle d´enregistrement appelée « One Button Recording Studio ». C’est un studio semblable à une salle de cinéma entièrement automatisée. Dans ce studio, les enseignants de ces deux universités peuvent produire, de manière autonome, des vidéos pédagogiques, des interviews ou même animer des conférences en ligne et enregistrer des discours. Il est également possible d´y réaliser des discussions médiatisées entre deux experts . La coopération inclus notamment les échanges d’informations et de publications ; échange du staff, projet de recherches conjointes; cours et programmes d’études conjoints; accès à des équipements et matériels spécifiques; visites de court et long séjours pour séminaire, workshop, conférences ou recherche ; échanges de jeunes diplômés et chercheurs post-doctorat. Mais, la liste peut s´allonger à d´autres activités convenues par les deux parties et dans le cadre de leurs compétences respectives.

Qu’en-est-il de la coopération entre l’université de Cologne et celle de Dschang, où vous avez été formé ?

Ma philosophie dans la vie a toujours été de supprimer, autant que possible, les obstacles que j´ai rencontrés durant mon parcours pour ouvrir le chemin aux autres. Dans nos universités africaines les étudiants rencontrent beaucoup de problèmes, notamment l´accès á la documentation et aux équipements. Dès mon arrivée en Allemagne, et au regard des facilités d´accès á la documentation qu´il y avait, j´avais commencé par  envoyer des documents à mes camarades par un mail groupé que j´avais créé pour les laboratoires de physiologie de l’université de Dschang et de Yaoundé. Ceux qui étaient dans le besoin m´envoyaient les références d’un document que j´allais chercher á la bibliothèque pour le scanner et l’envoyer. Plusieurs en ont et en profitent encore jusqu´aujourd’hui. A ce jour, j´ai pu aider plus d´une trentaine d´étudiants et de collègues à obtenir des bourses ou des financements. Certains ont obtenu leur diplôme (Bachelor, Master ou doctorat) directement chez moi ou chez mes collègues de la faculté, grâce à ma recommandation.

En 2011, je m´étais dit qu´il fallait mettre en place une coopération interuniversitaire entre Dschang et Cologne pour faciliter les échanges. C´est ainsi qu´après plusieurs démarches, ce partenariat a été signé en 2015 entre les deux universités à Dschang, en présence de l´ambassadeur de la République Fédérale d´Allemagne au Cameroun. La même année, nous avions offert un serveur à l´université de Dschang, avec comme objectif de connecter les deux universités. Ce serveur devait permettre á un étudiant ou un enseignant qui se retrouve en stage á Cologne, de sauvegarder ses données directement dans le serveur et d´y avoir accès á Dschang, sans avoir à les copier. Toujours dans le cadre de cette coopération, en 2017, j´avais organisé une école d´été, couplée á une visite de travail, auxquelles a participé une délégation de l´université de Dschang, composée d´une vingtaine de personnes, et conduite par son recteur, le professeur Tsafack Nanfosso. Lors de ce séjour, un addendum avait été signé entre les deux recteurs, en complément du partenariat signé en 2015.

Depuis lors, l’université de Cologne accompagne l´université de Dschang dans le renforcement de ses capacités d´enseignement et de recherches, surtout en ce qui concerne la mise en place du programme de formation de la faculté de médecine, dont l´université de Cologne est l´un des acteurs majeur de la création.

L´université de Dschang bénéficie actuellement de 3 grands projets dans le cadre de cette coopération, tout comme l’université Cheikh Anta Diop (UCAD) à Dakar. La faculté de médecine de l´université de Dschang a aussi bénéficié d’équipements pour une salle d´enregistrement et de matériels pour le laboratoire de compétences (Skills Lab). Les subventions de ces projets proviennent de la DAAD (Programme PAGEL), GIZ (Partenariats Hospitaliers)  et l´EU (ErasmusPlus), dont l´université de Cologne est porteur. Toujours dans le cadre de ces projets, les étudiants bénéficient de bourses et de subventions pour des courts séjours de recherches et d´études.

Quelles sont les autres activités que vous menez en Afrique, en général, et au Cameroun, en particulier ?

Je m´efforce d´offrir à de jeunes chercheurs de différents niveau d´études la possibilité d’améliorer leurs compétences et leurs qualifications et de donner ainsi aux meilleurs d’entre eux la chance de poursuivre une carrière universitaire. Je suis déjà intervenu et ai participé á l´organisation de plusieurs activités pour le bénéfice de nos frères et sœurs en Afrique, par exemple, dans les séminaires de conception et d´élaboration de projets de recherches : comment rechercher et demander le financement pour la recherche ; comment rédiger des rapports scientifiques et des thèses ; comment analyser des données scientifiques ; comment rechercher  et contracter des partenariats dans le cadre de la recherche et pour les stages de perfectionnements ; comment élaborer, réviser et évaluer le curriculum d´enseignement et de formation en sciences de la santé. Mon objectif est de partager mes connaissances avec mes compatriotes et ainsi contribuer, à ma façon, au développement du continent.

Quels sont vos projets, pour l’Afrique particulièrement?

Continuer d´apporter ma petite contribution au renforcement des capacités de recherche et d´enseignement en Afrique. Je souhaite contribuer à la revalorisation des centres de formation médicale du continent pour qu’ils deviennent des pôles d’excellence. Je pense notamment que le continent doit se doter d´une plateforme pour permettre des échanges entre ses médecins et les chercheurs même ceux de la diaspora et encourager ceux-ci à collaborer avec eux et á publier leur résultats, notamment sur des pathologies particulièrement présentes sur le continent. D´ailleurs, l´un de mes défis est la mise sur pied d´une grande maison d´édition  continental qui publiera les résultats de recherches du continent afin de valoriser notre potentialité en matière de recherche et de découverte scientifique.

 

 

 

 

Patrick Ndungidi
Journaliste et Storyteller
https://africanshapers.com

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