A 42 ans, le 12ème Premier ministre de l’Éthiopie, d’origine modeste, est devenu un dirigeant extrêmement influent qui dirige la deuxième nation la plus peuplée d’Afrique (près de 108 millions d’habitants) et la première économie en Afrique de l’Est. Chrétien protestant, il est le premier membre de l’ethnie des Oromos (majoritaire dans le pays) à être à la tête de l’Ethiopie.
Abiy Ahmed effectue sa première visite officielle en Europe du 29 au 31 octobre, afin notamment de rencontrer et de discuter avec la diaspora éthiopienne à Paris et à Frankfurt. Il se rendra à Paris le 29 octobre puis à Berlin le 30 octobre, avant d’aller à Frankfurt, où se tiendra la grande réception avec la diaspora. Abiy Ahmed s’entretiendra également avec le président français et la chancelière allemande.
Depuis son entée en fonction comme Premier ministre, le 2 avril 2018, il a fait sauter plusieurs verrous politiques, économiques, diplomatiques et sociales, qui ont propulsé l’Éthiopie sur le devant de la scène internationale. Objectif : remettre rapidement le pays sur la voie de la prospérité et de l’unité. Le plus récent exploit diplomatique est la signature d’un accord entre le gouvernement éthiopien et le Front national de libération de l’Ogaden (ONLF), pour mettre fin à un conflit vieux de 34 ans. En outre, depuis sa prise de fonction, le Premier ministre Abiy Ahmed tente de réconcilier le pouvoir central avec divers groupes d’opposition. En août, le Parlement a d’ailleurs retiré trois groupes armés de la liste des groupes considérés comme « terroristes », dont l’ONLF.
En réponse, le mouvement avait alors annoncé un cessez-le-feu unilatéral, malgré des troubles dans la région. Le 17 octobre, Abiy Ahmed a mis en place le premier gouvernement paritaire de l’histoire de l’Ethiopie, avec, pour la première fois, une femme nommée ministre de la défense et une autre femme, nommée ministre de la paix, supervisant tous les services de sécurité dont la police et les puissantes agences de renseignement. Abiy Ahmed a également libéré les prisonniers politiques enfermés par l’ancien régime.
Le Premier ministre éthiopien a aussi, et surtout, permis à l’Éthiopie de renouer le contact avec l’ « ennemi » de longue date, l’Érythrée. Cette spectaculaire réconciliation a été marquée par la signature, le 9 juillet à Asmara, capitale de l’Érythrée, d’un accord de paix mettant officiellement fin à un long conflit frontalier qui a fait quelque 80.000 morts entre 1998 et 2000. Un deuxième accord de paix a été signé en septembre en Arabie Saoudite .
Les deux pays ont ainsi rouvert leurs ambassades respectives. Par ailleurs, avec Abiy Ahmed, l’Ethiopie, une fois de plus, est entrée dans l’histoire avec la désignation de la première femme présidente du pays, Sahle-Work Zewde.
Naissance et jeunesse
Abiy Ahmed est né le 15 août 1976 Beshasha, (historiquement appelé Kaffa, car le lieu est souvent associé aux origines du café), au sud-ouest de l’Éthiopie, dans la zone Jimma de l’État régional d’Oromia. Son père, Ahmed Ali, est un musulman oromo de plus de 80 ans et un membre important et respecté de la communauté de Beshasha.
Il avait quatre femmes et treize enfants, Abiy Ahmed étant le plus jeune, né de la quatrième épouse, la regrettée Tezeta Wolde. Cette dernière, membre de l’ethnie Amhara, était une chrétienne convertie et avait six enfants avec le père d’Abiy Ahmed. Ce dernier a donc été exposé très jeune à deux des principales religions d’Éthiopie. Sa naissance intervient deux ans après le renversement de la monarchie éthiopienne et la prise du pouvoir par le régime militaire du Derg.
Abiy Ahmed grandit dans cette une communauté rurale dotée de peu d’infrastructures modernes et confrontée aux problèmes de manque de routes et d’électricité. La ville d’Agaro ( à 497 km d’Addis-Abeba), située à seulement 17 km de Beshasha, est légèrement plus grande et offre davantage de possibilités aux jeunes.
Un modèle pour ses amis
Alors que la plupart des jeunes hommes de Beshasha aspiraient à ouvrir une entreprise dans la ville voisine d’Agaro et à devenir le prochain riche et prospère négociant en café , Abiy Ahmed nourrissait d’autres ambitions. Selon son père, il aimait lire des livres religieux comme le Coran et, contrairement à d’autres jeunes de son âge, il était principalement intéressé par la lecture et l’apprentissage de nouvelles choses en compagnie de ses aînés. Selon sa sœur aînée, Tiruye Ahmed, Abiy Ahmed était un modèle pour ses amis et les encourageait toujours à étudier sérieusement et à apprendre.
Études et engagement politique
Après avoir effectué son école primaire à Beshasha, Abiy ahmed a poursuivi ses études secondaires dans la ville voisine d’Agaro, dans une Ethiopie alors marquée par des tensions politiques entre le régime du Derg et le Front démocratique révolutionnaire du peuple éthiopien, qui comptait des groupes membres tels que le OLF (Front de libération d’Oromo), le TPLF (Front de libération du peuple tigréen) et l’ ANDM (Mouvement Démocratique National Amhara).
À l’époque, Agaro, la ville d’Abiy Ahmed, était considérée comme une forteresse de l’OLF dans laquelle le groupe jouissait d’un large soutien. Pendant cette période trouble, son père, Ahmed Ali, et son premier fils, Kedir Ahmed, grand-frère Abiy ahmed, ont été incarcérés pendant un certain temps. Alors que le père d’Abiy a été libéré peu de temps après, son frère Kedir a malheureusement été tué . Ébranlé par le décès de son frère, Abiy Ahmed, peu de temps après et juste avant son quinzième anniversaire et quelques mois seulement avant le renversement de la dictature du Derg, se lance dans la lutte par des moyens politiques et militaires et rejoint, en 1991, l’Organisation démocratique du peuple Oromo (OPDO). Un de ses amis proches était devenu le chauffeur personnel d’Abadula Gemeda, l’un des fondateurs de l’OPDO.
Carrière dans l’armée
Abyi Ahmed commence sa carrière en tant qu’opérateur radio pour l’OPDO. Après la chute du Derg, il a suivi une formation militaire officielle au sein de la brigade Assefa à Wollega occidentale, axée sur les communications radio et le renseignement militaire. Le OPDO, à l’époque était composé d’un très petit nombre de soldats et de membres, environ 200 seulement, alors que leurs anciens alliés le TPLF avait plus de 90 000 hommes.
Abiy Ahmed étudie le Tigrigna et intègre ensuite l’armée éthiopienne, largement composée de combattants du TPLF. En 1995, à l’âge de 19 ans, il impressionne ses supérieurs par son dévouement et ses connaissances militaires. Il est envoyé au Rwanda comme casque bleue de l’ONU, où il reste trois ans. En 1998, peu après son retour en Éthiopie, il est engagé dans la guerre frontalière entre l’Éthiopie et l’Érythrée. Abiy Ahmed est principalement chargé d’une unité de renseignement et de communication. Objectif : observer, d’analyser, de détecter et signaler les positions de l’armée érythréenne.
La guerre avec l’Érythrée a abouti à une impasse et, en 2001, alors qu’il était toujours au service de l’armée, Abiy Ahmed obtient un diplôme en génie informatique d’un institut de formation en informatique privé bien connu à Addis-Abeba, Microlink Information Technology College. En 2005, il obtient un diplôme d’études supérieures dans une école sud-africaine appelée Machihe Dynamics in Cryptography (mettant l’accent sur le chiffrement par bloc). C’est également pendant son service militaire qu’il rencontre son épouse, Zinash Tayachew, avec qui il a eu trois filles.
Carrière dans les services de renseignement
En 2008, Abiy Ahmed décide qu’il est temps d’élargir ses horizons et quitte les Forces de défense éthiopiennes en tant que lieutenant-colonel. En raison de sa vaste expérience des technologies de l’information et des communications radio, il est sélectionné pour faire partie des fondateurs de l’Information Network Security Agency (INSA) ou Agence de sécurité nationale et de l’information. Objectif de cette nouvelle structure : protéger le cyberespace en Éthiopie, construire la cyber-puissance du pays et fournir des renseignements sur les intérêts nationaux. Il est un des piliers de l’organisation de cette puissante agence de renseignement, où il a occupé divers postes, jusqu’à atteindre celui de directeur général par intérim . Il a occupé ce poste jusqu’en 2010, tandis que le directeur général, le brigadier général Teklebirhan Woldearegay, étudiait à l’étranger.
Pendant qu’il était à l’INSA, en 2010, alors âgé de 34 ans, les autorités l’ont choisi pour instaurer la paix et la réconciliation dans sa région de naissance où des tensions persistaient depuis 2006, lorsqu’un groupe de chrétiens orthodoxes a été massacré par des fanatiques religieux de confession musulmane. Très actif dans ses efforts pour résoudre le conflit inter religieux, il a finalement rétabli le calme dans sa ville natale. La même année, il est devenu parlementaire représentant Agaro.
En tant que membre de la Chambre des représentants éthiopienne, Abiy Ahmed a mis de côté son intérêt pour la technologie pour se concentrer principalement sur la résolution des nombreux conflits inter-religieux, ainsi que sur diverses tentatives visant à attirer des investisseurs, au sein de la Zone Jimma, l’une des 20 zones de la région Oromia en Éthiopie. En 2011, toujours en étant parlementaire, il obtient un Master of Art in Transformational Leadership and Change l’université de Greenwich à Londres. Bien plus, il obtient,en 2013, un Master en administration des affaires du Leadstar College of Management and Leadership à Addis-Abeba.
En 2014, en plus de son travail de parlementaire, Abiy Ahmed est nommé directeur du Centre d’information sur les sciences et la technologie, un institut de recherche financé par le gouvernement éthiopien.
Ministre éthiopien de la Science et de la Technologie
Un an plus tard, en 2015, il est réélu au Parlement, cette fois pour la région (Woreda) de Gomma. Il devient, en même temps, membre exécutif de OPDO et a également été nommé ministre éthiopien de la Science et de la Technologie. A ce poste, qu’il a occupé pendant 12 mois,il a joué un rôle déterminant dans la restructuration et l’amélioration de l’efficacité de l’Ethiopian Space Science Society, renommée plus tard Ethiopian Aerospace Institute.
En 2016, Abiy Ahmed a poursuivi son ascension sans relâche au poste de président adjoint de la région d’Oromia sous la présidence de Lemma Megersa. Toujours comme membre de la Chambre des représentants, il est nommé à la tête du bureau de la planification et du développement urbain de la région d’Oromia. Une fonction qui va contribuer fortement à le propulser au poste de Premier ministre, via la résolution des conflits fonciers chez les Oromos.
Spécialiste de la résolution des conflits
En 2017, Abiy Ahmed a obtenu son doctorat en philosophie de l’Institut d’études de la paix et de la sécurité de l’Université d’Addis-Abeba. Sa thèse de doctorat était basée sur le conflit religieux dans la zone de Jimma. Il a également publié des articles de recherche sur les stratégies de désescalade axées sur la lutte contre l’extrémisme violent. La même année, Abiy Ahmed est devenu le chef du secrétariat d’OPDO, un poste qui lui a donné le pouvoir de mettre en œuvre les nombreuses tactiques de résolution de conflits qu’il connaissait déjà.Il a ainsi commencé à travailler avec les peuples Oromo et Amhara pour tenter de les réunir.
Ses efforts ont permis de rapprocher ces deux grands groupes ethniques , lui créant ainsi une base de pouvoir politique au sein de ce pays divisé politiquement sur le plan ethnique. Abiy Ahmed a également joué un rôle déterminant dans ses efforts pour tenter de fournir des soins à environ un million d’Oromos qui ont été évincés de la région Somali au cours des troubles de 2017. En 2018, de nombreux experts considéraient que Abiy Ahmed et Lemma Megersa étaient les hommes politiques les plus populaires et les plus respectés du pays. Des appels constants ont été lancés en faveur d’une refonte complète de la scène politique éthiopienne.
Premier ministre
En février 2018, après trois ans d’instabilité dans le pays, le Premier ministre éthiopien de l’époque, Hailemariam Desalegn, a annoncé sa démission à la télévision nationale, la considérant comme essentielle pour mener à bien les réformes qui conduiraient à une paix durable et à la démocratie. La démission de Desalegn a entraîné pour la première fois dans l’histoire du Front démocratique révolutionnaire du peuple éthiopien (coalition actuellement au pouvoir) une élection très controversée. Lemma Megersa et Abiy Ahmed sont alors les deux grands favoris pour devenir Premier ministre. Mais le premier part défavorisé car, malheureusement pour lui, la loi éthiopienne exige que le Premier ministre ait siégé au Parlement. Ce qui n’est pas le cas pour Lemma Megersa, contrairement à Abiy Ahmed .
Stratégiquement, Abiy Ahmed est nommé à la présidence de l’OPDO afin que son parti ne perde aucune chance d’accéder au poste de Premier ministre lors du vote de la coalition, constituée de quatre groupes. Lors de ce vote, chaque groupe envoie respectivement 45 membres pour élire le prochain Premier ministre éthiopien. Le principal concurrent d’Abiy Demeke Mekonnen, le chef du parti Amhara (AMDM), en soutien à la candidature d’Abyy Ahmed, s’écarte de la course quelques heures avant l’élection. Il laisse Abiy Ahmed face à deux concurrents : le leader des peuples du Sud (SEPDM), Shiferaw Shigute, et le chef du Tigray (TPLF), Debretsion Gebremichael.
Le 27 mars 2018, lors du vote, Abiy Ahmed a recueilli 108 voix, Shiferaw 58 et Debretsion deux. Six jours plus tard, soit le 2 avril 2018, il a été nommé Premier ministre d’Éthiopie par la Chambre des représentants et a prêté serment.
« Des forces saboteuses »
Le 23 juin 2018, il échappe à un attentat à la grenade survenue sur la place Meskel, au centre de la capitale Addis Abeba, alors qu’il tient un discours. Pour Abiy Ahmed, l’attentat, qui a fait 83 blessés dont six dans un état grave, émane de « forces saboteuses qui ne veulent pas d’une Éthiopie en paix et unie ». A ce sujet, cinq suspects ont été inculpés pour terrorisme en septembre pour avoir tenté de tuer Abiy Ahmed lors cette attaque à la grenade. Par ailleurs, le 10 octobre, plusieurs centaines de soldats protestataires, certains armés, se rendent au Cabinet du Premier ministre, officiellement pour demander une augmentation de salaire.
L’ancien officier des forces armées ordonne alors aux militaires de faire des pompes, pour pacifier la situation et désamorcer la crise. S’adressant aux parlementaires le 18 octobre, il a déclaré que sans l’ordre de faire les pompes toute la situation aurait dégénéré. « Certaines personnes voient ces pompes que nous avons faites comme étant un exercice très décontractée. Mais, nous l’avons utilisé pour pacifier la situation. Dans l’armée, les pompes, l’exercice ou le fait de parler fort sont des mesures utilisées pour répondre à des doléances ou des émotions », a-t-il fait savoir.
Pour le Premier ministre éthiopien, ces militaires avaient l’intention de « faire échouer » le processus de réformes en cours.Ces réformes, qui plaisent aux uns et déplaisent aux autres, constituent un changement radical par rapport à la politique menée par la coalition au pouvoir depuis 1991 et dont Abiy Ahmed est issu. Ce dernier ne semble pas prêt de s’arrêter en si bon chemin.