Réconciliation PHC-communautés riveraines : le pari réussi de Jean-François Mombia Atuku

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Sept ans après avoir dénoncé les abus de la société PHC-Feronia devant les bailleurs de fonds européens, Jean-François Mombia Atuku, fondateur du « Réseau d’information et d’appui aux ONG » (RIAO-RDC), est retourné sur le terrain. Du 23 mars au 22 avril 2025, il a conduit une mission d’observation à Lokutu, dans la province de la Tshopo, en République Démocratique du Congo, avec un objectif clair : évaluer l’évolution des relations entre la société Plantations et Huileries du Congo (PHC), premier producteur industriel d’huile de palme du pays, et les communautés locales vivant à la lisière de ses plantations.

Ce retour intervient à un moment charnière. En 2018, alors que PHC était encore sous la gestion du Groupe Feronia, des tensions persistantes liées à des conflits fonciers, à des allégations de violations des droits humains et au non-respect des engagements sociaux avaient poussé le RIAO-RDC à porter plainte auprès des banques européennes de développement, principales sources de financement de la société. Depuis, les cartes ont été rebattues. Mais la question demeure : la situation sur le terrain s’est-elle réellement améliorée ?

Lors de sa mission à Lokutu, Jean-François Mombia Atuku a été témoin de changements notables. Autrefois, des cultivateurs étaient menacés ou intimidés pour avoir osé développer leurs propres plantations. Aujourd’hui, des partenariats inédits ont vu le jour : des paysans livrent directement leurs régimes de noix de palme à PHC, dans une logique de coopération plutôt que de confrontation.

Plus frappant encore : les récits de torture, d’arrestations arbitraires ou de répression brutale ont disparu. Les tensions d’hier ont laissé place à une forme de coexistence prudente mais apaisée. Fait marquant : plusieurs voix communautaires expriment désormais le souhait de maintenir PHC dans la région, reconnaissant en l’entreprise un levier important de développement local, à condition qu’elle respecte pleinement ses engagements.

Sur le plan professionnel, les conditions de travail dans les plantations ont évolué : les salaires ont été revalorisés, et des équipements de protection individuelle sont désormais fournis aux ouvriers, marquant un pas vers plus de dignité et de sécurité au travail.

 

Des progrès concrets, mais des attentes persistantes

Au-delà du climat relationnel, le quotidien des communautés riveraines semble lui aussi en pleine transformation. Sur le terrain, des avancées palpables viennent souligner une volonté de changement de la part de PHC. À Lokumete, dans la province de la Tshopo, l’hôpital de la société a été modernisé, offrant des soins mieux adaptés aux besoins des populations. Des forages ont été installés, permettant enfin l’accès à une eau potable plus sûre dans plusieurs villages.

PHC et ses communautés riveraines : une histoire longue et tourmentée

L’histoire de la société Plantations et Huileries du Congo (PHC) est intimement liée à celle de la République démocratique du Congo. Présente sur le territoire depuis 1911, PHC est aujourd’hui encore le principal producteur industriel d’huile de palme du pays.

À ses débuts, l’entreprise opérait sous le nom d’Huileries du Congo Belge (HCB), avant de devenir Plantations Lever au Congo (PLC) en 1960, puis Plantations Lever au Zaïre (PLZ) après l’africanisation des noms post-indépendance. Jusqu’en 1996, elle reste dans le giron du géant agroalimentaire Unilever, qui développe alors une vingtaine de plantations à travers l’immense forêt congolaise.

Mais en 1973, la politique de zaïrianisation imposée par le régime de Mobutu bouleverse la donne. PLZ est contrainte de céder une grande partie de ses actifs. Seules trois plantations, à savoir Boteka (province de l’Équateur), Lokutu (Tshopo) et Yaligimba (Mongala) resteront en activité. Ces dernières seront finalement cédées en 2009 par Unilever au groupe canadien Feronia, marquant ainsi la naissance de PHC-Feronia.

Malgré l’ambition affichée de redynamiser la production, la gestion de Feronia sera marquée par des difficultés chroniques. Ces défis constants conduiront, en 2020, à la revente de PHC au fonds d’investissement africain Kuramo Capital Management, désormais actionnaire majoritaire, aux côtés de l’État congolais.

La période Feronia : un climat de tensions et de luttes sociales

L’ère PHC-Feronia restera dans les mémoires comme une période de conflits récurrents et de fortes crispations entre l’entreprise et les communautés riveraines. Au cœur des tensions : des revendications foncières non résolues, des accusations de violences perpétrées par des agents de sécurité ou des forces de l’ordre, et une frustration grandissante face aux promesses non tenues par la société envers les populations locales.

Face à ce climat délétère, un homme s’est levé pour faire entendre la voix des oubliés : Jean-François Mombia Atuku, figure respectée de la société civile congolaise, que l’on surnomme « le petit David du bassin du Congo » pour son engagement tenace en faveur des droits humains et de la justice sociale.

Dès 2016, à travers l’action de son ONG, le RIAO-RDC, Jean-François Mombia Atuku amorce un processus de médiation entre PHC et les communautés, avec comme objectif de reconstruire un dialogue rompu. Ce travail de terrain, patient et souvent ardu, aboutit à la signature de « Clauses Sociales », véritables pactes de réconciliation entre les parties : d’abord à Lokutu en 2017, puis à Boteka et Yaligimba en 2018.

Ces accords marquaient une première victoire dans une lutte asymétrique, où les communautés tentaient de faire valoir leurs droits face à un géant industriel, armées uniquement de leur résilience… et du soutien d’un défenseur inlassable.

Un climat de méfiance persistant : vers la voie de la médiation internationale

Mais, malgré la signature des Clauses Sociales, l’espoir de réconciliation s’est rapidement heurté à la réalité du terrain. Les communautés continuaient à faire entendre leurs voix de détresse, dénonçant le non-respect des engagements pris, ainsi que des abus persistants attribués à la société. Pour beaucoup, les accords n’avaient été que des promesses restées lettres mortes.

Face à l’enlisement et à l’absence de réponses concrètes, Jean-François Mombia Atuku, à la demande expresse des communautés de Boteka et Lokutu, décide de franchir une nouvelle étape. En véritable porte-voix des populations marginalisées, il dépose une plainte officielle auprès des banques européennes de développement, principaux bailleurs de fonds de Feronia, à l’époque propriétaire de PHC.

Cette initiative provoque une onde de choc. Les institutions financières, interpellées sur leur responsabilité sociale et environnementale, ont mis en place le « Mécanisme indépendant des plaintes » (MIP/ICM), une procédure exceptionnelle de médiation internationale. Ce processus inédit s’est déroulé sur deux années, de 2022 à 2024, dans l’espoir de faire émerger des solutions durables et équitables, dans le respect des droits des communautés locales.

Un accord fragile, une vigilance nécessaire

Le rapport final du Mécanisme Indépendant des Plaintes, rendu public en août 2024, a laissé un goût d’inachevé. Malgré des mois de négociations, aucun consensus durable n’a pu être scellé entre PHC et les communautés riveraines. Interpellées par les plaintes persistantes, les autorités provinciales ont fini par s’impliquer. En décembre 2024, leur médiation débouche sur un accord de collaboration et de coexistence pacifique entre PHC et les communautés concernées.

Toutefois, cet accord a été négocié sans la participation du RIAO-RDC, acteur historique et pilier de la défense communautaire. Méfiant mais résolu, Jean-François Mombia Atuku décide alors de vérifier sur le terrain la solidité de ce compromis et sa véritable acceptation par les populations.

C’est dans ce cadre qu’une enquête approfondie est lancée début 2025. Elle comprend notamment un sondage auprès des habitants des zones concernées, afin de recueillir leurs perceptions réelles, au-delà des discours officiels, et de poser les bases d’un dialogue plus transparent et équitable.

Les résultats du sondage mené par le RIAO-RDC révèlent une amélioration notable du climat de confiance entre les communautés et la direction actuelle de PHC. Les tensions ouvertes semblent s’être apaisées, et le dialogue, bien que fragile, a repris.

Mais tout n’est pas encore gagné. Certaines promesses tardent à se concrétiser, et les populations locales demeurent vigilantes. Deux préoccupations majeures ressortent avec force : le bornage effectif de la concession PHC, toujours attendu, et la mise en œuvre des projets de développement promis lors des accords de décembre 2024, encore en suspens.

Ainsi, si l’espoir renaît, il reste conditionné à une seule exigence : la traduction réelle des engagements en actions durables.

L’espoir sur le terrain : des signes tangibles de changement

Lors de sa mission à Lokutu, Jean-François Mombia Atuku a pris le pouls des réalités locales. Une chose est apparue clairement : la question foncière reste au cœur des préoccupations des communautés. Bien que l’accord de décembre 2024 prévoit le bornage officiel de la concession PHC par les autorités compétentes, les chefs locaux réclament une procédure transparente et participative, craignant que le processus ne leur échappe une fois de plus.

L’accord engage également PHC à soutenir activement les démarches des communautés pour l’obtention de leurs titres fonciers en tant que « Communautés forestières locales » (CFCL). Pour de nombreux habitants, cet objectif représente bien plus qu’une formalité administrative : c’est une promesse de dignité, d’ancrage et de souveraineté sur leurs terres ancestrales. Et ils attendent désormais que cette promesse se traduise en actes concrets.

Une nouvelle ère à consolider

Au terme de sa mission, Jean-François Mombia Atuku n’a pas seulement dressé un constat : il a aussi proposé une feuille de route claire pour ancrer les avancées observées dans la durée. Sa recommandation phare : accélérer le processus de bornage des concessions PHC, sous l’œil vigilant des autorités compétentes. Ce bornage, longtemps réclamé par les communautés, est perçu comme un préalable indispensable à la paix foncière.

Autre mesure essentielle : la création d’un comité de suivi multipartite, réunissant représentants de PHC, leaders communautaires, autorités locales et acteurs de la société civile. Objectif : garantir la transparence, le respect des engagements et surtout, institutionnaliser le dialogue.

Car cette mission, loin d’être une simple visite d’évaluation, s’inscrit comme un tournant majeur dans la réconciliation entre PHC et les communautés riveraines. Grâce à l’impulsion de Mombia Atuku et à la ténacité du RIAO-RDC, un nouveau climat de confiance semble s’installer.

Néanmoins, le chemin vers un développement équitable et respectueux des droits humains reste semé d’embûches. C’est pourquoi le RIAO-RDC, fidèle à sa vocation, reste mobilisé. Il veillera à ce que chaque promesse soit honorée, chaque voix communautaire entendue, et que la paix sociale ne soit pas une parenthèse, mais un socle durable.

 

 

 

 

Patrick Ndungidi
Journaliste et Storyteller
https://africanshapers.com

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