Reine Ntone Johansen : « A la NASA, je suis jugée uniquement sur la qualité de mon travail »

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Originaire du Cameroun, Reine Ntone est actuellement ingénieure des systèmes à la National Aeronautics and Space Administration (NASA), où elle travaille en collaboration avec les ingénieurs responsables du hardware et du software pour planifier et conceptualiser les missions spatiales. Elle a aussi été, pendant plusieurs mois, assistante de l’ingénieur mécanique chez Airbus.

 Africanshapers : Pourriez-vous vous présenter et nous relater votre parcours académique et professionnel?

Reine Ntone : J’ai obtenu mon BAC S option science de l’ingénieur au lycée Fréderic Ozanam à Lille. En 2016 et ma licence en Sciences de l’ingénieur à l’université catholique de Lille. Deux ans plus tard, j’ai obtenu une deuxième licence en ingénierie des systèmes complexes à l’université de Paris-Saclay. En 2018, j’ai eu mon master en Aerospace Engineering à San Jose State University de San Jose.

Pourquoi avoir choisi d’effectuer des études d’ingénieur ?

Depuis mon plus jeune âge, j’ai toujours été passionnée par la science et les problèmes complexes liés à celle-ci. Le rôle de l’ingénieur est notamment de trouver des solutions à des problèmes courants. Tout cela m’a motivé à devenir une partie de la solution.

Vous avez remporté le prix de recherche exceptionnelle en astronautique de l’Université d’État de San Jose en 2019. Qu’est-ce qui vous a valu ce prix ?

Mon projet de fin d’études portait sur les différentes protections thermiques pour les capsules spatiales. Mon étude s’est focalisée sur les protections ablatives qui ont démontré une grande efficacité pendant les missions Apollo. J’ai étudié les réactions chimiques qui se déroulent pendant que la capsule est soumise à des températures extrêmes pendant l’entrée atmosphérique. J’ai comparé les résultats des simulations avec les données de précédentes missions spatiales.

TechEdSat-10 Team in lab working a spacecraft. © NASA

Comment s’est déroulé votre recrutement à la NASA ?

J’ai été recrutée par Millennium Engineering & Integration pour travailler à temps partiel au début du dernier semestre de mes études. J’ai donc rejoint le projet TEchEdSat à la NASA AMES. Après l’obtention de mon master en Aerospace Engineering, j’ai été embauchée à temps plein.

En quoi consiste votre travail à la NASA ? Quelles sont vos compétence spécifiques en tant qu’ingénieur et comment les utilisez-vous au sein de la NASA ?

Je suis ingénieure des systèmes. Je travaille en collaboration avec les ingénieurs responsables du hardware et du software pour planifier et conceptualiser les missions spatiales. J’ai eu la chance de travailler sur des missions de satellites et des missions suborbitales. Mes compétences en thermo-aérodynamique me permettent d’apporter ma contribution pour avancer dans la technologie de parachutes de désorbitation. Le dernier exemple en date est l’Exobrake. Mon sens aigu du détail me permet d’assurer avec fiabilité une série de tests préalables au lancement. J’ai été impliquée dans la conception de l’Exobrake mais j’ai aussi été responsable de la modélisation, de la conception et du management liés au satellite.

Parlez-nous de votre travail dans le développement des solutions d’ingénierie innovantes pour les avions AIRBUS ?

J’ai été assistante de l’ingénieur mécanique pendant plusieurs mois, où j’ai eu l’opportunité de créer des outils mécaniques pour tester les moteurs d’avion. Ces outils ont permis aux techniciens responsables de la maintenance d’optimiser les processus de réparation des moteurs.

Selon l’organisation « Space in Africa », le marché spatial africain représente désormais plus 7, 37 milliards de dollars et devrait dépasser 10,29 milliards de dollars d’ici 2024. Comment ce secteur pourrait-il booster le développement économique du continent ?

La réponse est simple. On a besoin d’une organisation aérospatiale africaine pour centraliser les projets et les efforts en parallèle. Si les jeunes sont capables de se former sur le continent, ils peuvent donc directement mettre leurs compétences au service de leur nation. Le pilier du développement économique lié à l’espace réside dans l’éducation de la prochaine génération dans les filières très spécifiques de l’aéronautique et de l’espace.

Quel est, à ce jour, la réalisation dont vous êtes le plus fier ?

Mon premier jour de travail à la NASA. J’en rêvais depuis que je suis toute petite. Le rêve que je voulais accomplir dix ans après mon diplôme de master s’est réalisé à 25 ans.

En tant que femme noire, comment vivez-vous les événements actuels aux USA, consécutifs au décès de Georges Floyd ?

Cet événement est regrettable et triste au point où il m’a été difficile de regarder cette vidéo dans son intégralité. Personne ne mérite un tel traitement. Bien que la tension soit palpable, je pense que les grands changements requièrent du calme et la concentration. Cela permettra d’aboutir à des solutions durables dans le temps et qui auront un impact positif majeur sur les générations futures. Par exemple, j’observe aussi les grandes organisations et sociétés privées aux Etats-Unis qui ont pris des mesures pour assurer un environnement de travail inclusif pour tous. Ce combat demande donc l’implication de TOUS.

Avez-vous déjà eu le sentiment que votre travail a été remis en cause à cause de votre

couleur de peau ?

Jamais. C’est la raison pour laquelle j’aime mon travail à la NASA. Je suis jugée uniquement sur la qualité de mon travail.

Quel est le meilleur conseil que vous ayez reçu sur le plan professionnel ?

Etre humble et reconnaissant. Je mets un point d’honneur à dire clairement quand je ne comprends pas quelque chose ou quand  j’ai besoin de l’aide de mes collègues. C’est de cette manière que j’apprends tous les jours avec des gens toujours prêts à m’enseigner quelque chose de nouveau. Je dis d’ailleurs merci une dizaine de fois par jour au minimum.

Quel métier auriez-vous aimez pratiquer si vous n’aviez pas été ingénieure ?

J’aurais aimé être pilote.

Quels sont vos hobbies ?

Je joue au tennis. J’aime les virées en moto dans les montagnes avec mon époux Royd. A deux, nous aimons réaliser des bougies fait maison.

Quels sont vos projets, notamment pour l’Afrique et pour votre pays d’origine le Cameroun ?

Pour le Cameroun, j’aimerais faire partie de la solution concernant l’accès à l’éducation. Les jeunes doivent pouvoir être à même de se former sur place avec les plus grands professeurs du monde. J’aspire à pouvoir partager mon savoir et transmettre ma passion comme le fait si bien le Dr. Ernest Fokoue, pour ne citer que lui. Dans le domaine scientifique, la collaboration avec les experts africains qui brillent dans le monde entier permet de créer un réseau éducatif compétitif avec celui de l’occident.

Patrick Ndungidi
Journaliste et Storyteller
https://africanshapers.com

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