La fondatrice et CEO d’Okapi Finance International a reçu, le 20 octobre dernier à Accra au Ghana, le prix panafricain « pour les femmes les plus influentes d’Afrique dans le secteur des entreprises et des gouvernements» dans la catégorie « Services financiers ».
Africanshapers: Quel est votre parcours académique et professionnel. Depuis quand êtes-vous basée en Suède ?
Gisèle Mwepu: je suis basée en Suède depuis ça fait 23 ans. Je suis titulaire d’un Master en informatique et d’un Master en sciences du génie informatique. Mon parcours est vraiment celui d’un serial entrepreneur . Après mes études universitaires, j’ai monté ma société d’informatique, Soft Solutions Partner. Au début, cette société a joué le rôle d’un laboratoire, où je pouvais expérimenter mes différentes idées. C’est ainsi que j’ai eu l’idée de créer Okapi Finance international. Ma passion a toujours été d’utiliser la technologie pour changer le monde. C’est un peu ma façon d’ apporter ma part au monde.
En tant qu’entrepreneur, j’ai reçu beaucoup de prix prestigieux en Suède et aussi en Europe dont le prestigieux prix du talent d’innovation pour la Suède pour l’année 2017. La Suède étant l’un des pays les plus technologiques dans le monde. Mais rien n’a été si prestigieux à mes yeux comme le prix panafricain: femme la plus influente d’Afrique dans le secteur des entreprises et des gouvernements» dans la catégorie « services financiers », qui m’a été décerné le samedi 20 octobre à Accra au Ghana. Cette reconnaissance venant d’Afrique est un véritable encouragement et cela me donne encore plus de force de poursuivre le parcours d’Okapi pour accélérer l’inclusion financière en Afrique.
Qu’est-ce qui vous a poussée à créer Okapi Finance International ?
je suis née en RDC où presque 95% de la population sont non-bancarisés. La RDC ne constitue pas un cas unique à ce sujet. Selon la Banque mondiale, 80% de la population en Afrique et 50% de la population mondiale ne sont toujours pas bancarisés. Toute personne devrait avoir accès aux services bancaires, quel que soit son statut financier ou son lieu de résidence. L’inclusion financière est une clé pour lutter contre la pauvreté et créer l’autonomisation des individus. C’est pourquoi, la mission d’Okapi est de faciliter l’inclusion financière. La première phase consiste à cibler l’Afrique subsaharienne. L’objectif d’Okapi est d’atteindre 145 millions de personnes en 10 ans. La deuxième phase consistera à cibler le reste du monde.
En combien de temps avez-vous développé la plate-forme Okapi ?
Nous avons mis cinq ans pour développer la plate-forme Okapi avant le lancement des services en novembre 2017 au Kenya. Cinq ans peuvent sembler assez longs, mais il ne s’agissait pas seulement de créer une plate-forme robuste, comme l’est actuellement Okapi, mais de créer une plate-forme qui sera utilisée et qui va combler un vide existant sur le marché. Pour cela, j’avais fait le choix de ne pas créer la plate-forme Okapi sans tenir compte de la réalité du futur marché . Okapi a été créé grâce avec une interaction continue avec les futurs utilisateurs. Pendant le développement d’Okapi, je suis allée 40 fois au Kenya. Il était essentiel de comprendre les défis sur le marché pour créer un produit qui comble les besoins des utilisateurs. Okapi est aujourd’hui une plate-forme haut de gamme, transparente, avec toutes les transactions exécutées en temps réel. La plate-forme est sécurisée et certifiée PCIDSS (norme de sécurité des données du secteur des cartes de paiement) et conforme à toutes les réglementations KYC et AML.
Comment avez-vous financé ce développement ?
Au tout début, nous avons commencé le développement de la plate-forme Okapi au sein de mon entreprise informatique, puis lorsque la vision était plus claire, Okapi a été transférée à Okapi Finance. C’était une façon de financer le début du développement. Ce développement de la plate-forme Okapi a coûté de 20 à 25 millions d’euros. Je me dis toujours que j’ai eu de la chance d’avoir des investisseurs (angel investors) qui ont cru en moi et en ma vision quand tout n’était qu’ une idée. Mais, je crois qu’ ils l’ont fait parce que ils ont vu que j’étais moi même prête à faire des sacrifices pour que mon rêve se réalise en plus de ma passion. La Suède étant également un pays favorable aux entrepreneurs, l’aide initiale au financement a également été fournie par certains fonds d’investissement gouvernementaux.
Aujourd’hui les investisseurs que nous cherchons sont plus dans le but d’accélérer notre croissance. Mon exigence primaire quand il s’agit des investisseurs et qu’ils doivent croire à l’Afrique comme un marché ayant un potentiel. Malheureusement, l’image de l’Afrique est souvent associée à l’aide. Ce qui n’est pas du tout vrai. L’Afrique est le prochain grand marché. Ce serait superbe d’avoir un investisseur clé Africain dans Okapi car nous n’en avons aucun à ce jour. Surtout qu’Okapi évolue en Afrique.
Quelle est l’envergure de votre entreprise aujourd’hui ? (Nombre d’employés et de clients, chiffre d’affaires, etc.) ?
Okapi a une valeur qui s’élève entre 50 et 100 millions d’euros. Nous comptons atteindre le seuil de rentabilité fin 2019 avec un chiffre d’affaire projeté à 35 millions. Okapi a 70 employés à temps plein globalement. A cela s’ajoute presque 300 personnes employées sur contrats de vente et des milliers d’agents qui offrent les services Okapi aux clients, surtout les retraits et les dépôts dans les comptes Okapi. Les clients d’Okapi peuvent effectuer des virements de fonds, effectuer des paiements, payer leur prime d’assurance etc.
Ils peuvent également transférer de l’argent entre Okapi et Visa, ainsi que faire des transactions carte par carte en temps réel. Grâce à notre dernier partenariat avec Mpesa au Kenya, les abonnés d’Okapi peuvent désormais transférer des fonds d’ Okapi vers M-Pesa et vice-versa. Mpesa a entre 25 et 29 millions d’utilisateurs au Kenya et interopérabilité avec Mpesa augmente la flexibilité de nos clients qui peuvent maintenant accéder au réseau de 170 000 agents Mpesa au Kenya.Okapi est utilisé par des privés mais aussi par les entreprises. Okapi aide les entreprises a réduire le coût de l’administration dans la réception et la distribution de fonds jusqu’à 70 à 90%. C’est pourquoi, notre stratégie de pénétration du marché se fait à travers les entreprises ou les organisations qui finalement ramènent à Okapi leurs utilisateurs ou leurs clients. Nous avons des accords avec des compagnies d’assurances, des micro finances, des ONG, des coopératives, des entreprises par exemple pour la distribution des salaires, des entreprises des services pour la réception des payements, etc.
Au Kenya, où les services ont été lancés en Novembre 2017, nous comptons actuellement plus de 100 000 clients et, rien qu’au Kenya notre but est d’atteindre 1 million de clients d’ici fin 2019 avec des accords avec des entreprises et des organisations déjà conclus. Nous préparons le lancement des services au Botswana et au Nigeria avant la fin de l’année. Ensuite,nous allons lancer Okapi en RDC si tout se passe bien. Le Nigeria est le plus grand marché Africain et sera aussi le plus grand marché d’Okapi. Le nombre des client que les services vont atteindre à travers les accords conclus avec les entreprises atteint déjà presque 4,5 millions d’utilisateurs.
Nous visons à atteindre environ 145 millions de personnes dans 10 ans, grâce notamment à la signature d’un accord conclu avec Ecobank, la plus grande banque d’Afrique mais aussi par notre ouverture à l’interopérabilité avec les solutions déjà présentes dans les différents pays. Je suis convaincue que l’interopérabilité est un catalyseur de l’inclusion financière et elle facilite les transactions transfrontalières entre les différents pays d’Afrique. Le marché est si grand et chacun trouve sa part. Ensemble, nous pourrons réduire l’exclusion financière sur tout le continent.
Pourquoi le choix de commencer par le Kenya, le Botswana et le Nigeria qui sont tous des pays anglophones ?
Nous avons voulu commencer dans un pays où les gens avaient la compréhension des transactions digitales. Le Kenya était le pays idéal à cause de Mpesa qui était déjà établi. Au cours de cette année, nous avons implanté des structures locales dans 10 autres pays dont plusieurs pays francophones.
L’entreprise n’est pas encore opérationnelle en RDC, votre pays d’origine. Pour quelles raisons ?
Nous avons connu un retard causé par les partenaires. Nous espérons pourvoir commencer les services dans un avenir proche. C’est un rêve pour moi que de lancer les services Okapi dans mon propre pays et participer ainsi à l’inclusion financière en RDC.
Quels sont les enjeux et les défis de la FinTech aujourd’hui en Afrique ?
Avec 80% de la population africaine qui est encore non-bancarisée, la Fintech est un outil clé pour accélérer l’inclusion financière. L’infrastructure s’améliore aussi ce qui favorise l’explosion des solutions financières. L’Afrique compte à peu près 388 millions d’internautes. Ce qui correspond à 31,2% de sa population et 10% des utilisateurs mondiaux. Actuellement, il ya environ 293,8 millions de smartphones sur le continent. On prévoit une croissance de 52,9% pour atteindre 929,9 millions de smartphones d’ici 2021.
Il y a environ 419 millions de connexions Internet mobiles. Ce chiffre est projeté pour atteindre 1,07 milliard d’ici la fin de 2022. Les utilisateurs des réseaux sociaux se comptent en million. En 2016, le nombre d’utilistateurs de Facebook atteignait déjà 120 millions. Le défi est plus lié au manque d’interopérabilité entre les solutions existantes. Chaque pays a sa/ses solutions. Dès qu’on se déplace dans un autre pays, c’est presqu’impossible d’effectuer une transaction surtout quand on est non-bancarisé. C’est pourquoi, à Okapi, nous avons décidé de nouer des partenariats avec les acteurs locaux existants dans différents pays, afin de faciliter non seulement les transactions dans les pays , mais également les transactions transfrontalières entre les différents pays d’Afrique. L’interopérabilité est la clé pour accélérer l’inclusion financière.
Quelle relation l’écosystème Fintech suédois entretient-il avec l’Afrique ?
La Suède est un pays hautement technologique et aussi le berceau de plusieurs solutions qui évoluent bien ici en occident. Malheureusement, beaucoup d’entreprises n’envisagent pas encore de s’établir en Afrique, surtout par ignorance du marché. Cette tendance est en train de changer car le gouvernement suédois suit avec attention la croissance économique qu’affiche l’Afrique ces dernières années. J’ai eu l’opportunité de faire partie de la délégation des ministres suédois qui a séjourné dans quelques pays Africains dans le but d’encourager l’exportation de la technologie Suédoise en Afrique et les échanges entre la Suède et l’Afrique.
Quelles sont les difficultés auxquelles vous être confrontée dans vos activités quotidiennes ?
Effectuant nos activités dans plusieurs pays en Afrique, nous sommes confrontés au problème de recrutement par apport aux exigences et compétences requises. Un autre défi concerne les difficultés qu’on éprouve à gérer les équipes dans différents pays. Notre solution consiste à miser sur le recrutement des nationaux à la tête de chaque pays. Ils ont l’avantage de connaitre les réalités et les contextes locaux des pays. On est aussi confronté aux aléas administratifs. Par exemple, dans la création des structures locales, le guichet unique facilite les démarches. Pour les pays n’ayant pas cette facilité, le processus est vraiment long et compliqué.