Juge à la Cour suprême du Kenya depuis 2011 et cofondatrice de la Fondation pour l’albinisme en l’Afrique de l’Est, l’histoire de Mumbi Ngugi est le reflet d’un bon combat empreint de résilience et de détermination.
Au cours de cette année 2019 au cours de laquelle des poursuites de corruption très médiatisées ont eu lieu au Kenya, Mumbi Ngugi se distingue par ses décisions courageuses afin de lutter contre la corruption. Ainsi, le 24 juillet, elle avait condamné les gouverneurs et les officiers publics corrompus, affirmant que les dirigeants élus ne pouvaient rester en poste tout en étant accusés de corruption.
En outre, le 1er octobre, la juge a donné un nouvel élan à la lutte contre la corruption après avoir décidé que les enquêteurs pouvaient procéder à des perquisitions secrètes dans les bureaux et les domiciles des personnes soupçonnées de corruption sans notification préalable.
Depuis 2007, Mumbi Ngugi s’est fortement impliquée dans la sensibilisation à l’albinisme et aux différents défis auxquels sont confrontés les personnes nées avec l’albinisme dans leur vie quotidienne.
Découverte de sa différence
Dans sa jeunesse, Grace Mumbi Ngugi avait entendu parler de personnes atteintes d’albinisme qui mouraient avant leur 40ème anniversaire. Âgée aujourd’hui de 56 ans, elle a depuis longtemps vaincu sa peur de mourir jeune, et appris à vivre et à se sentir bien dans sa peau.
Née à Banana Hill, dans l’État de Kiambu au Kenya, dans une famille de 11 enfants (dont deux sont décédés), la juge Ngugi a fréquenté l’école primaire de Thimbigua, où elle a brillé, obtenant 35 points sur 36, et a ensuite été admise au lycée des filles Ngandu High School dans le compté de Nyeri, au Kenya. Une école dirigée par des religieuses et basée sur des fortes valeurs chrétiennes et des principes. C’est là qu’elle a fait la connaissance de soeur Claire, qui a eu une grande influence sur sa vie. La religieuse lui a transmis sa passion pour la lecture et lui a fait découvrir de nombreux auteurs notamment John Steinbeck, qui demeure à ce jour l’auteur préféré de la juge Mumbi Ngugi.
Titulaire d’un diplôme en droit de l’université de Nairobi et d’un Master en droit de la London School of Economics de l’université de Londres. Elle a travaillé dans les secteurs privé, public et dans la société civile.
Elle a débuté sa carrière comme assistance juridique dans un grand cabinet d’avocats à Nairobi à la fin des années 80. Par la suite, elle a été conseillère juridique pour différents clients privés, des organisations gouvernementales, représentante de la société civile et juge à la haute cour du Kenya à la division des droits constitutionnels et humains à Nairobi. Actuellement, elle est juge présidente à Kericho Hight Court au Kenya.
Lorsqu’elle travaillait pour la commission des droits de l’homme au Kenya, elle s’est rendue compte des problèmes de discrimination auxquels devaient faire face les minorités. Ce qui a renforcé sa conviction de à lutter pour les droits de ces dernières.
« pour les gens comme moi, il est pratiquement impossible de trouver un emploi »
Malheureusement, même si elle a pu bénéficier de l’encadrement de sa famille et d’autres personnes bienveillantes, elle a toujours fait face à plusieurs formes de discriminations. « Mon expérience de la discrimination est moins marquante que celle de la plupart des personnes vivant avec l’albinisme. L’environnement dans lequel j’ai grandi, les écoles que j’ai fréquentées et ma formation professionnelle ont rendu ma vie et mon expérience moins difficiles qu’elles auraient pu l’être. Pour autant, ma vie n’a pas été une sinécure. Ce n’est pas facile quand une bonne part de la société vous évite. En fait, pour les gens comme moi, il est pratiquement impossible de trouver un emploi, parce que tout le monde est convaincu que nous avons des difficultés intellectuelles, ou que nous portons malheur, quand nous ne sommes pas tout simplement un objet de curiosité », a fait savoir la juge lors d’une interview.
Pendant toute mon enfance, se rappelle-t-elle, elle a été le centre de l’attention partout où elle avait le courage de se rendre. « Quand j’arrivais dans un lieu public, tout le monde se figeait, et je sentais tous les regards me détailler. Certains parlaient haut et fort, d’autres murmuraient, mais tous m’analysaient, surtout en termes désobligeants ».
Un jour, sa mère l’a emmenée à Nairobi, la capitale, à l’hôpital national Kenyatta, pour la faire soigner parce qu’elle avait des problèmes de vue. « Mais les médecins ne savaient même pas que des lunettes protégeraient au moins mes yeux de l’éclat du soleil. Ce n’est qu’au lycée que j’ai enfin eu des lunettes équipées de verres photochromiques. Je n’avais guère accès à des informations relatives à l’albinisme, alors je traquais le moindre renseignement dans les livres et les magazines. J’ai appris à prévenir les coups de soleil au moyen d’un écran solaire. Jusqu’à l’âge d’environ 17 ans, je n’utilisais aucun écran solaire, dont j’ignorais l’existence. C’est alors que j’en ai découvert dans un supermarché »,se souvient-elle.
Son amour pour la lecture a développé sa passion pour l’écriture et son envie de devenir journaliste. Si elle n’avait pas été juriste, elle aurait évolué dans le monde des médias. Néanmoins, Mumbi Ngugi a rédigé plusieurs articles sur des questions relatives aux droits de l’homme, en particulier les droits des femmes et des enfants et a écrit pour divers journaux et magazines kényans, notamment « Sunday Nation », « The Standard » et « Eve Magazine ». Elle a été rédactrice en chef de « The Lawyer Magazine » et a été chercheuse principale et compilatrice du rapport bi-annuel sur les droits de l’homme de la Commission des droits de l’homme du Kenya depuis 2006. Elle a utilisé ses écrits pour sensibiliser sur l’albinisme, corriger certaines fausses informations et défaire les clichés.
« Le problème réside dans la perception sociétale, qui veut qu’on fuie les enfants vivant avec l’albinisme, qu’on les prive d’abord d’éducation, puis de possibilités d’emploi, et qu’on les traite comme s’ils n’existaient pas. La plupart des gens ignorent que l’albinisme n’est pas douloureux, que ce n’est pas non plus une maladie mortelle, mais que c’est juste une absence de pigments de mélanine dans la peau, dans les cheveux et dans les yeux, ce qui nous donne une apparence différente à l’extérieur, alors que nous sommes pareils à l’intérieur ».
C’est dans cette optique qu’en 2008, Grace Mumbi Ngugi a cofondé la Fondation pour l’albinisme en Afrique de l’Est. Objectif : veiller à l’acceptation sociale des personnes vivant avec l’albinisme. « Ce n’est pas juste que les gens atteints d’albinisme meurent sans emploi, sans éducation, marginalisés, ou qu’ils soient mutilés ou tués au cours de rituels de sorcellerie. Les mythes et les idées reçus à propos de l’albinisme sont aussi affligeants. Certains parents pensent que leurs enfants atteints d’albinisme peuvent ‘bronzer’ s’ils restent au soleil, ce qui, bien entendu, ne fait que provoquer de graves dégâts cutanés. De nombreux pères abandonnent leurs femmes quand elles donnent naissance à des enfants atteints d’albinisme, ignorant que les deux parents doivent être porteurs de l’albinisme pour qu’un enfant en soit atteint ».
Un avenir prometteur
Même si cette situation peut paraître désespérée et déprimante, la juge Mumbi Ngugi demeure persuadée que les personnes atteintes d’albinisme ont un avenir prometteur. « Nous avons une nouvelle Constitution qui garantit à tous les Kényans le droit à la santé. A mon avis, le gouvernement va bientôt prendre conscience de sa responsabilité et mettre de l’écran solaire à disposition dans tous les hôpitaux pour les personnes atteintes d’albinisme, en particulier pour les enfants. Nous avons tous besoin de structures de soutien tout au long de la vie, en particulier quand elle s’accompagne des problèmes auxquels bon nombre d’entre nous avons été confrontés. J’ai la chance de pouvoir compter sur ces structures: ma famille, une famille élargie qui m’aime pour ce que je suis, et quelques amis proches et merveilleux, auprès de qui je puise ma force ».
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En 2018, la juge Grace Mumbi Ngugi a reçu le CB Madan Award au Kenya pour son « courage et son engagement exceptionnel envers le constitutionnalisme et la primauté du droit au Kenya ». Auparavant, elle a reçu d’autres prix au Kenya et à l’étranger.